L’Avortement en Pologne
Sommaire :
Article dans « le Monde »
Résumé de l’arrêt de
Arrêt
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LE
MONDE | 21.03.07 |
(....) Mme
Tysiac est aujourd'hui menacée de cécité, et ne peut plus prendre soin de ses
enfants en raison de son handicap.
(....) Le verdict de
La société polonaise reste, elle, largement
partagée : à 45 % contre l'amendement, et 44 % pour, selon un sondage GFK
publié le 20 mars.
Rafaële Rivais et Célia Chauffour Article paru dans l'édition du 22.03.07
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COUR
EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
Communiqué du Greffier
ARRÊT DE
CHAMBRE
TYSIĄC c. POLOGNE
Elle
conclut
· par six voix contre une, à la violation de
l’article 8 (droit au respect de la vie privée) de
· à l’unanimité, à la non-violation de l’article 3 (interdiction des
traitements inhumains ou dégradants) de
Au
titre de l’article 41 (satisfaction équitable) de
1. Principaux
faits
La
requérante, Alicja Tysiąc, est une ressortissante polonaise née en 1971 et
domiciliée à Varsovie.
Souffrant
depuis des années d’une myopie sévère, l’intéressée décida de consulter
plusieurs médecins lorsqu’elle découvrit en février 2000 qu’elle était enceinte
pour la troisième fois ; elle craignait en effet que sa grossesse
n’aggravât son problème.
Les
trois ophtalmologues qu’elle consulta conclurent chacun qu’elle encourrait de
sérieux risques pour sa vision si elle menait sa grossesse à terme, mais
refusèrent de faire droit à sa demande d’obtention d’un certificat qui lui eût
permis de bénéficier d’un avortement thérapeutique2. La requérante
consulta également un médecin généraliste, qui lui délivra un certificat
confirmant les risques que sa grossesse lui faisait courir du fait de ses
problèmes de rétine et de ceux liés à un nouvel accouchement après deux
césariennes.
En
avril 2000, alors qu’elle en était à son deuxième mois de grossesse, la
requérante subit un examen qui révéla que sa myopie s’était déjà aggravée
(- 24 dioptries à chaque œil).
Elle
fut alors invitée à se rendre le 26 avril 2000 à la clinique gynécologique et
obstétricale d’un hôpital de Varsovie, en vue d’une interruption de la
grossesse. Elle fut examinée par le responsable de la clinique, le docteur
R.D., qui estima qu’aucune raison médicale ne justifiait un avortement
thérapeutique. En conséquence, la requérante ne put avorter et donna naissance
par césarienne à son troisième enfant en novembre 2000.
A
la suite de l’accouchement, la vue de la requérante se détériora
considérablement en raison de ce que les médecins diagnostiquèrent comme étant
une hémorragie rétinienne. Un collège de médecins constata que l’état de
l’intéressée requérait des soins et une assistance quotidienne et lui reconnut
le statut d’invalide.
Mme
Tysiąc attaqua le docteur R.D. au pénal, mais sa plainte fut classée par
le procureur, qui considéra qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre la
décision du médecin et la détérioration de la vision de la requérante. Le
médecin ne fit par ailleurs l’objet d’aucune sanction disciplinaire.
Mme
Tysiąc, qui élève ses trois enfants seule, est aujourd’hui invalide et
perçoit à ce titre une pension mensuelle de l’équivalent de 140 euros. Elle ne
peut voir à plus de
2. Procédure
et composition de
Déposée
devant
L’arrêt
a été rendu par une chambre de 7 juges ainsi composée :
Nicolas
Bratza (Britannique), président,
Giovanni Bonello (Maltais),
Matti Pellonpää (Finlandais),
Kristaq Traja (Albanais),
Lech Garlicki (Polonais),
Javier Borrego Borrego (Espagnol),
Ljiljana Mijović (ressortissante de
et Lawrence Early, greffier de section.
3. Résumé
de l’arrêt3
Griefs
La
requérante estimait qu’à l’époque pertinente elle remplissait les conditions
légales pour se voir reconnaître la possibilité de procéder à un avortement
thérapeutique. Elle soutenait que le fait qu’on ne l’eût pas autorisée à
interrompre sa grossesse nonobstant les risques auxquels elle se trouvait
exposée avait emporté violation des articles 8, 3 et 13 de
Décision
de
Article
3
Eu
égard aux circonstances de la cause,
Article
8
Eu
égard au contexte général,
Eu
égard à ce contexte général,
Aussi
Eu
égard aux circonstances de l’affaire considérées dans leur ensemble,
Article
13
Observant que le grief formulé par Mme Tysiąc au regard de cet
article rejoint en substance les questions examinées dans le cadre de l’article
8,
Article
14 combiné avec l’article 8
Eu égard aux motifs qui l’ont amenée à conclure à la violation de l’article 8,
A
l’arrêt se trouve joint l’exposé de l’opinion séparée du juge Bonello et de
l’opinion dissidente du juge Borrego Borrego.
***
Les
arrêts de
Contacts pour la presse
Emma Hellyer (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 42 15)
Stéphanie Klein (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 21 54)
Beverley Jacobs (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 54 21)
1
. L’article 43 de
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QUATRIÈME SECTION
(Requête no 5410/03)
ARRÊT
STRASBOURG
20 mars 2007
Cet
arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44
§ 2 de
En l'affaire Tysiąc c. Pologne,
Sir Nicolas Bratza,
président,
MM. G. Bonello,
M. Pellonpää,
K. Traja,
L. Garlicki,
J. Borrego Borrego,
Mme L. Mijović, juges,
et de M. T.L. Early, greffier
de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 février 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une
requête (no 5410/03) dirigée contre
2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représentée par Mmes M. Gąsiorowska et A. Wilkowska-Landowska, avocates respectivement à Varsovie et Sopot, assistées de Mmes A. Coomber et V. Vandova de l'organisation Interights, de Londres. Le gouvernement polonais (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. J. Wołąsiewicz, du ministère des Affaires étrangères.
3. La requérante alléguait que les
circonstances de l'affaire avaient emporté violation de l'article 8 de
4. Par une décision du 7 février 2006,
5. Tant la requérante que le Gouvernement ont
déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1
du règlement). Les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les
observations de l'autre. Des observations ont également été reçues du Center
for Reproductive Rights, une association de New York, de la fédération
polonaise des femmes et du planning familial ainsi que de la branche polonaise
de la fondation Helsinki pour les droits de l'homme de Varsovie, du forum des
femmes polonaises de Gdańsk et de l'association des familles catholiques
de Cracovie, que le Président avait autorisés à intervenir dans la procédure
écrite (articles 36 § 2 de
6. Une audience s'est déroulée en public au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 7 février 2006 (article 59 § 3 du règlement).
Ont comparu :
– pour le
Gouvernement
M. J. Wołąsiewicz,
ministère des Affaires étrangères, agent,
Mme A. Gręziak,
sous-secrétaire d'Etat,
ministère de la Santé,
MM. J. Szaflik,
B. Chazan,
K. Wiak,
Mme K. Bralczyk, conseillers ;
– pour la
requérante
Mmes M. Gąsiorowska,
A. Wilkowska-Landowska, conseils,
V. Vandova,
A. Coomber, conseillères.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
7. La requérante est née en 1971 et réside à Varsovie.
8. Elle souffre depuis 1977 d'une forte myopie, évaluée à -0,2 à l'œil gauche et -0,8 à l'œil droit. Avant sa grossesse, un collège de médecins de la sécurité sociale avait conclu qu'elle était atteinte d'une invalidité de gravité moyenne.
9. La requérante se trouva enceinte en février 2000. Elle avait déjà eu deux enfants, tous deux nés par césarienne. Comme elle s'inquiétait des conséquences que l'accouchement pourrait avoir sur sa santé, elle décida de consulter ses médecins. Trois ophtalmologues (les docteurs M.S., N. S.-B. et K.W.) l'examinèrent. Il ressort des documents soumis par l'intéressée que le docteur M.S. recommandait que celle-ci subisse de fréquents contrôles de santé et évite l'exercice physique. Pour le docteur N. S.-B., la requérante devait envisager de se faire stériliser après la naissance du bébé, et les trois médecins concluaient qu'en raison de changements pathologiques survenus à la rétine de la requérante, la grossesse et l'accouchement entraînaient des risques pour sa vue. Ils refusèrent cependant d'émettre un certificat en vue d'une interruption de grossesse, en dépit des demandes de l'intéressée, au motif qu'il existait un risque, mais pas de certitude, que la rétine se décolle à cause de la grossesse.
10. Par la suite, la requérante sollicita l'avis d'autres médecins. Le 20 avril 2000, le docteur O. R. G., médecin généraliste, émit un certificat indiquant que la troisième grossesse constituait une menace pour la santé de la requérante en raison d'un risque de rupture de l'utérus consécutif aux deux précédents accouchements par césarienne. Cette thérapeute mentionnait également la myopie de l'intéressée ainsi que d'importantes modifications pathologiques de la rétine. Selon elle, tout cela imposait que la requérante évite les efforts physiques, consigne qui serait en tout état de cause extrêmement difficile à respecter étant donné qu'à l'époque, celle-ci élevait seule deux enfants en bas âge. La requérante comprit que ce certificat lui permettrait de se faire avorter légalement.
11. Le 14 avril 2000, au cours du deuxième mois de grossesse, la requérante subit un examen des yeux. Il fut établi qu'elle avait besoin de lunettes corrigeant sa vue de 24 dioptries aux deux yeux.
12. Par la suite, la requérante prit contact avec un hôpital public, la clinique de gynécologie et d'obstétrique de Varsovie, dont elle dépendait géographiquement, en vue de se faire avorter. Le 26 avril 2000, elle se rendit à un rendez-vous avec le docteur R.D., chef du service de gynécologie et d'obstétrique de la clinique.
13. Ce dernier examina la requérante de visu pendant moins de cinq minutes et ne consulta pas son dossier ophtalmologique. Après cela, il nota au verso du certificat émis par le docteur O. R. G. que ni la myopie ni les deux césariennes de la requérante ne constituaient des motifs d'avortement thérapeutique. Il estimait que, dans ces conditions, la requérante devait accoucher par césarienne. Pendant que la requérante était dans son cabinet, le docteur R.D. consulta une endocrinologue, le docteur B., avec qui il s'entretint à voix basse devant la requérante. L'endocrinologue contresigna la note du docteur R.D. sans avoir adressé la parole à la requérante.
14. L'examen de la requérante eut lieu dans une pièce qui donnait sur un couloir, la porte ouverte, ce qui, d'après la requérante, ne créait pas un climat favorable à un examen médical. A la fin du rendez-vous, le docteur R.D. déclara à la requérante qu'elle pourrait même avoir huit enfants si elle accouchait par césarienne.
15. En conséquence, la requérante ne put bénéficier d'une interruption de grossesse. Elle accoucha par césarienne en novembre 2000.
16. Après la naissance, sa vue se détériora considérablement. Le 2 janvier 2001, six semaines environ après l'accouchement, elle fut emmenée au service d'urgence de la clinique ophtalmologique de Varsovie. Lors d'un test qui consistait à compter les doigts, elle ne put voir qu'à une distance de trois mètres avec son œil gauche et de cinq mètres avec son œil droit, alors qu'avant sa grossesse, elle pouvait distinguer des objets à une distance de six mètres. On diagnostiqua une occlusion vasculaire en résorption à l'œil droit et une aggravation de la dégénérescence de la macula à l'œil gauche.
17. D'après un certificat médical émis le 14 mars 2001 par le docteur M.S., ophtalmologue, la détérioration de la vue de la requérante provenait de ses récentes hémorragies de la rétine. La requérante risque en conséquence de devenir aveugle. Lors de l'examen, le docteur M.S. lui suggéra d'apprendre le braille. Cette thérapeute informa aussi la requérante que, comme les modifications de sa rétine étaient très avancées, il n'y avait aucune possibilité de les corriger par une intervention chirurgicale.
18. Le 13 septembre 2001, le collège statuant en matière d'invalidité déclara que la requérante était atteinte d'une invalidité importante alors qu'auparavant, son invalidité avait été qualifiée de moyennement grave. Il estima de plus qu'elle avait besoin de soins constants et d'une aide pour ses tâches quotidiennes.
19. Le 29 mars 2001, la requérante déposa une plainte pénale contre le docteur R.D. en alléguant que celui-ci l'avait empêchée d'obtenir, comme le recommandait le médecin généraliste, un avortement thérapeutique au titre de l'une des exceptions prévues à l'interdiction de l'avortement. Elle se plaignait d'une atteinte à son intégrité physique du fait qu'elle avait presque complètement perdu la vue à la suite de sa grossesse et de son accouchement. Elle invoquait l'article 156 § 1 du code pénal, qui punit cette infraction, et indiquait aussi qu'en vertu de la législation en vigueur en matière de sécurité sociale, elle n'avait pas droit à une pension d'invalidité car elle n'avait pas travaillé le nombre requis d'années avant l'apparition de son invalidité puisqu'elle élevait ses enfants.
20. L'enquête sur la plainte fut menée par le procureur du district de Varsovie-Śródmieście. Celui-ci recueillit la déposition des ophtalmologues qui avaient examiné la requérante pendant sa grossesse, lesquels déclarèrent que l'accouchement par césarienne aurait pu bien se passer.
21. Le procureur commanda en outre une expertise à un collège de trois médecins experts (un ophtalmologue, un gynécologue et un spécialiste de médecine légale) de l'académie de médecine de Białystok. Selon le rapport qui en résulta, les grossesses et accouchements n'avaient pas eu d'effet sur la détérioration de la vue de la requérante. Eu égard à la gravité de la déficience visuelle de la requérante, le risque de décollement de rétine avait toujours existé et continuait d'être présent ; la grossesse et l'accouchement n'avaient pas augmenté ce risque. De plus, les experts conclurent que rien ne s'était opposé à ce que la requérante mène sa grossesse à son terme et mette son bébé au monde.
22. Lors de l'enquête, ni le docteur R.D. ni le docteur B., qui avaient tous deux signé le certificat du 26 avril 2000, ne furent interrogés.
23. Le 31 décembre 2001, le procureur classa l'affaire sans suite au motif qu'il n'y avait aucune raison de poursuivre le docteur R.D. S'appuyant sur l'expertise, il conclut qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les actions de ce médecin et la détérioration de la vue de la requérante. Il observa que cette aggravation « n'avait été provoquée ni par les actions du gynécologue ni par une quelconque autre intervention humaine ».
24. La requérante fit appel de cette décision devant le procureur régional de Varsovie. Elle contestait le rapport établi par les experts de l'académie de médecine de Białystok, alléguant notamment qu'elle n'avait en réalité été examinée que par l'un de ces experts, à savoir l'ophtalmologue, alors que le rapport était signé de la totalité d'entre eux. De plus, aucun des équipements spécialisés d'ophtalmologie qui servaient habituellement à contrôler la vue n'avaient été utilisés lors de l'examen, qui n'avait duré que dix minutes. Les deux autres experts signataires du rapport, dont un gynécologue, ne l'avaient pas du tout examinée.
25. Elle signalait en outre certaines incohérences dans le rapport et indiquait qu'avant ses deuxième et troisième accouchements, les médecins avaient recommandé une stérilisation pendant la césarienne afin de prévenir toute autre grossesse. Elle faisait valoir que, si la détérioration de sa vue était due à son état de santé, il lui semblait que ce processus s'était accéléré lors de sa troisième grossesse, et soutenait qu'il y avait un lien de causalité entre le refus d'un avortement et la dégradation de sa vue. Elle se plaignait aussi que les autorités de poursuite n'aient accordé aucune considération au certificat émis par son médecin généraliste.
26. Elle indiquait qu'elle n'avait pu prendre connaissance du dossier car les résumés des dépositions des témoins et d'autres documents étaient écrits de manière illisible. Le procureur avait refusé à plusieurs reprises de prêter son concours pour la lecture du dossier, alors même qu'il savait qu'elle souffrait d'une très forte myopie. Elle n'avait donc pas pu lire les documents versés au dossier, ce qui avait nui à sa capacité à exercer ses droits procéduraux au cours de l'enquête.
27. Le 21 mars 2002, le procureur régional de Varsovie confirma dans une décision d'un paragraphe la décision du procureur de district, considérant que les conclusions de ce dernier étaient fondées sur le rapport d'expertise. Il réfuta l'argument de la requérante selon lequel elle n'avait pas été examinée par les trois experts en indiquant que les deux autres experts ayant signé le rapport s'étaient appuyés sur une étude de son dossier médical. Il ne traita pas la question procédurale soulevée par la requérante dans son recours.
28. Par la suite, la décision de classement fut transmise au tribunal de district de Varsovie-Śródmieście pour contrôle juridictionnel.
29. Par une décision définitive du 2 août 2002, insusceptible de recours et longue de vingt-trois lignes, le tribunal de district confirma la décision de classement. Eu égard au rapport de l'expertise médicale, le tribunal estima que le refus d'autoriser une interruption de grossesse n'avait eu aucune incidence sur la détérioration de la vue de la requérante. De plus, il constata qu'il était de toute façon probable que la requérante ait une l'hémorragie oculaire eu égard à la nature et à la gravité de son état. Le tribunal ne traita pas du grief procédural soulevé par la requérante dans son recours contre la décision du procureur de district.
30. La requérante tenta également d'engager une procédure disciplinaire contre les docteurs R.D. et B. Il fut toutefois définitivement mis un terme à cette procédure le 19 juin 2002, les autorités compétentes de l'ordre des médecins ayant estimé qu'il n'y avait eu aucune négligence professionnelle.
31. A l'heure actuelle, la requérante ne peut
distinguer des objets à plus de
II. LE DROIT ET
A.
32. L'article 38 de
«
33. L'article 47 de
« Chacun jouit du droit de voir protéger par la loi sa vie privée et familiale, son honneur et sa réputation, et de prendre des décisions concernant sa vie personnelle. »
B. La loi de 1993 sur le planning familial (protection du fœtus humain et conditions dans lesquelles l'interruption de grossesse est autorisée) et dispositions connexes
34. La loi sur le planning familial (protection du fœtus humain et conditions dans lesquelles l'interruption de grossesse est autorisée), toujours en vigueur, a été adoptée par le Parlement en 1993. Son article 1 disposait à l'époque que « tout être humain jouit du droit à la vie depuis la conception ».
35. Cette loi prévoit que l'avortement n'est légal que jusqu'à la douzième semaine de grossesse lorsque celle-ci met en danger la vie ou la santé de la mère ou lorsque des tests prénatals ou d'autres résultats médicaux montrent qu'il existe un risque élevé que le fœtus soit atteint d'une malformation grave et irréversible ou d'une maladie incurable qui menace sa vie, ou encore lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire que la grossesse résulte d'un viol ou d'un inceste.
36. Le 4 janvier 1997 entra en vigueur la
version de la loi de 1993 telle qu'amendée le 30 juin
37. En décembre 1997, de nouveaux amendements
furent apportés au texte de la loi de 1993 à la suite d'un arrêt rendu par
38. L'article 4a de la loi de 1993, dans sa version actuellement en vigueur, dispose dans ses passages pertinents :
« 1. Seul un médecin peut pratiquer un avortement, et ce lorsque :
1) la grossesse met en danger la vie ou la santé de la mère ;
2) des tests prénatals ou d'autres résultats médicaux montrent qu'il existe un risque élevé que le fœtus soit atteint d'une malformation grave et irréversible ou d'une maladie incurable qui menace sa vie ;
3) il existe de sérieuses raisons de croire que la grossesse résulte d'un acte criminel.
2. Dans les cas énumérés en 2) ci-dessus, l'avortement peut être pratiqué jusqu'au moment où le fœtus est capable de survivre en dehors du corps de la mère et, dans les cas cités en 3) ci-dessus, jusqu'à la fin de la douzième semaine de grossesse.
3. Dans les cas cités en 1) et 2) ci-dessus, l'avortement est pratiqué par un médecin en milieu hospitalier.
(...)
5. Les circonstances dans lesquelles l'avortement est autorisé au titre du paragraphe 1, alinéas 1) et 2) ci-dessus, doivent faire l'objet d'un certificat émis par un médecin autre que celui qui doit effectuer l'avortement, sauf si la grossesse fait peser une menace directe sur la vie de la femme. »
39. Une ordonnance du ministre de
« Les circonstances indiquant que la grossesse constitue une menace pour la vie ou la santé de la femme doivent être attestées par un médecin spécialisé dans la branche de la médecine dont relève le problème de santé qui touche cette femme. »
40. L'article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales précise qu'en cas de doute thérapeutique ou quant au diagnostic, un médecin peut de sa propre initiative ou à la demande de la patiente, et s'il le juge raisonnable au vu des exigences de la science médicale, solliciter l'avis d'un spécialiste ou organiser une consultation avec d'autres médecins.
C. Avortement effectué dans des conditions non autorisées par la loi de 1993
41. Procéder à une interruption de grossesse sans respecter les conditions exposées dans la loi de 1993 constitue une infraction pénale réprimée par l'article 152 § 1 du code pénal. Quiconque pratique un avortement en violation de la loi ou prête son concours à un tel acte est passible d'une peine d'emprisonnement de trois ans au maximum. La femme enceinte n'encourt elle-même aucune responsabilité pénale en cas d'avortement effectué au mépris de la loi de 1993.
D. Dispositions du code de procédure pénale
42. Toute personne faisant l'objet d'une accusation en matière pénale peut, si elle n'a pas les moyens de rémunérer un avocat, solliciter l'assistance judiciaire au titre de l'article 78 § 1 du code de procédure pénale. De même, en vertu des articles 87 § 1 et 88 § 1 dudit code, toute personne qui se prétend victime d'une infraction pénale est habilitée à demander à être admise au bénéfice de l'assistance judiciaire en vue de se faire représenter pendant l'enquête et la procédure pénales.
E. Atteinte à l'intégrité physique
43. L'article 156 § 1 du code pénal de 1997 dispose qu'une personne qui a porté atteinte à l'intégrité physique d'autrui est passible d'une peine d'emprisonnement de un à dix ans.
F. Responsabilité délictuelle
44. Les articles 415 et suivants du code civil polonais, qui traitent de la responsabilité délictuelle, prévoient que quiconque provoque par sa faute un dommage à autrui est tenu de redresser ce dommage.
45. En vertu de l'article 444 du code civil, quiconque cause un préjudice corporel ou une atteinte à la santé est tenu de réparer la totalité du dommage matériel qui en découle.
G. Jurisprudence des tribunaux polonais
46. Par un arrêt du 21 novembre 2003 (V CK
167/03),
47. Par un arrêt du 13 octobre 2005 (IV CJ
161/05),
III. TEXTES PERTINENTS EN DEHORS
DE
A. Observations du Comité des droits de l'homme de l'ONU
48. Après avoir examiné en 1999 le quatrième
rapport périodique soumis par
« 11. Le Comité relève avec préoccupation : a) la rigueur des lois sur l'avortement, qui se traduit par un nombre élevé d'avortements clandestins, avec les risques qui en découlent pour la vie et la santé des femmes ; b) le fait que les femmes n'ont qu'un accès limité aux contraceptifs, en raison de leurs prix élevés et de la difficulté d'obtenir la prescription voulue ; c) la disparition de l'éducation sexuelle dans les programmes scolaires ; et d) l'insuffisance des programmes publics de planification de la famille (art. 3, 6, 9 et 26).
L'Etat partie devrait mettre en place des politiques et des programmes favorisant le plein accès à toutes les méthodes de planification de la famille et réintroduire l'éducation sexuelle dans l'enseignement public. »
49. Le Gouvernement polonais, dans son cinquième rapport périodique soumis au Comité (CCPR/C/POL/2004/5), a déclaré :
« 106. En Pologne, les données relatives à l'avortement se limitent aux avortements pratiqués en hôpital, c'est-à-dire aux avortements légalement autorisés. Le nombre d'avortements indiqués dans les statistiques officielles actuelles est faible par rapport à celui des années précédentes. Les organisations non gouvernementales estiment quant à elles à entre 80 000 et 200 000 le nombre d'avortements pratiqués illégalement chaque année en Pologne.
107. Il ressort des rapports annuels du gouvernement sur l'application de la loi [de 1993] [que le Gouvernement est obligé de soumettre au Parlement] et des rapports des organisations non gouvernementales que les dispositions de la loi ne sont pas pleinement appliquées et que certaines femmes, bien qu'elles répondent aux critères d'admissibilité de l'avortement, n'en bénéficient pas. D'une part, certains médecins des services de santé publique, invoquant la « clause de conscience », refusent de pratiquer l'avortement ; d'autre part, certaines femmes qui auraient droit à un avortement légal ne sont pas informées de la procédure à suivre. Il arrive que des femmes, auxquelles il est demandé de fournir des certificats additionnels, soient amenées à retarder l'intervention jusqu'au moment où l'avortement devient dangereux pour leur santé. Il n'y a pas de statistiques officielles concernant les plaintes liées au refus des médecins de pratiquer l'avortement. (...) De l'avis du gouvernement, il est indispensable d'appliquer effectivement les dispositions déjà en vigueur en ce qui concerne (...) la réalisation des avortements. »2
50. Le Comité, après avoir examiné le cinquième
rapport périodique de
« 8. Le Comité réitère sa profonde préoccupation devant la législation restrictive qui existe en Pologne en matière d'avortement et risque d'inciter les femmes à recourir à des avortements peu sûrs, illégaux, avec les risques qui en découlent pour leur vie et leur santé. Il est aussi préoccupé par l'impossibilité pratique de recourir à l'avortement même lorsque la législation l'autorise, par exemple en cas de grossesse faisant suite à un viol, et par l'absence d'information sur les cas où les médecins qui refusent de pratiquer des avortements légaux font valoir la clause d'objection de conscience. Le Comité regrette l'absence d'information sur l'étendue des avortements illégaux et leurs conséquences pour les intéressées.
L'Etat partie devrait libéraliser sa législation et sa pratique en matière d'avortement. Il devrait donner un complément d'information sur l'utilisation de la clause d'objection de conscience par les médecins et, dans la mesure du possible, sur le nombre d'avortements illégaux pratiqués dans le pays. Ces recommandations devraient être prises en compte lorsque le Parlement sera saisi du projet de loi sur la sensibilisation parentale. »
B. Observations d'organisations non gouvernementales
51. Dans un rapport préparé par le réseau ASTRA sur la santé et les droits dans le domaine de la reproduction en Europe centrale et orientale à l'intention du Forum sur la population en Europe, qui s'est réuni à Genève du 12 au 14 janvier 2004, il est dit que :
« [l]a loi anti-avortement en vigueur en Pologne
depuis
de nombreuses femmes qui ont droit à un avortement légal se voient souvent refuser ce droit dans leur hôpital de secteur,
les avortements pour des motifs sociaux ne sont pas stoppés mais simplement repoussés dans la clandestinité, car les femmes qui veulent un avortement peuvent trouver un médecin qui le pratiquera illégalement ou se rendre à l'étranger,
les effets de la loi se font principalement sentir sur les femmes les plus pauvres et les moins éduquées car les avortements clandestins sont onéreux.
Le manque de connaissances au sujet de la planification de la famille abaisse la qualité de vie des femmes. Leur sexualité est mise en danger soit par la crainte permanente d'une grossesse non désirée soit par la recherche d'un avortement peu sûr. Les femmes qui choisissent d'avorter en profitant des rares cas de figure où cela reste autorisé font l'objet d'une réprobation et d'une obstruction très fortes. Les médecins et hôpitaux dirigent ou informent fréquemment mal les femmes qui ont légalement droit à un avortement, ce qui fait peser de graves risques sur leur santé. Il arrive souvent que des médecins (voire des hôpitaux entiers, bien qu'ils n'aient pas le droit d'agir ainsi) refusent de pratiquer des avortements dans les hôpitaux où ils travaillent en invoquant la « clause de conscience » – c'est-à-dire le droit de refuser de pratiquer un avortement en raison de croyances religieuses ou d'objections morales – ou même sans donner la moindre justification, créant ainsi des problèmes jusqu'à ce qu'il devienne impossible de pratiquer un avortement légalement. Il existe toutefois un système bien organisé d'avortement clandestin – les avortements sont effectués illégalement dans des cliniques privées, très souvent par les médecins mêmes qui ont refusé l'avortement à l'hôpital. Le coût moyen d'un avortement est de 2000 PLN environ (l'équivalent du salaire brut moyen en Pologne). La fédération des femmes et du planning familial estime que le nombre réel d'avortements en Pologne est de 80 000 à 200 000 par an. »
C. Rapport de synthèse du réseau d'experts indépendants de l'Union européenne en matière de droits fondamentaux
52. Dans son rapport de synthèse intitulé « conclusions et recommandations sur la situation des droits fondamentaux dans l'Union européenne et ses Etats membres en 2004 », daté du 15 avril 2005, le réseau a notamment déclaré :
« Tout en reconnaissant qu'il n'existe à ce jour aucune jurisprudence arrêtée en droit international ou européen relatif aux droits de l'homme indiquant un quelconque point d'équilibre entre, d'une part, le droit de la femme à interrompre sa grossesse, expression particulière du droit général à l'autonomie de la personne sous-jacent au droit au respect de la vie privée, et, d'autre part, la protection de la potentialité de la vie humaine, le Réseau s'inquiète néanmoins d'un certain nombre de situations qui, aux yeux des experts indépendants, sont discutables dans l'état actuel du droit international des droits de l'homme.
Une femme souhaitant avorter ne devrait pas être
contrainte à se rendre à l'étranger pour le faire, en raison du manque de
structures disponibles dans son pays de résidence même s'il était légal pour
elle de subir un avortement, ou parce que, bien que légal lorsque pratiqué à
l'étranger, un avortement dans des circonstances identiques est interdit dans
le pays de résidence. Cela peut être source de discrimination entre les femmes
qui peuvent se rendre à l'étranger et celles qui, en raison d'un handicap, de
leur état de santé, du manque de ressources, de leur situation administrative,
voire du manque d'informations adéquates (...), ne peuvent pas le faire. Une
femme ne devrait pas avorter en raison de l'insuffisance de structures d'aide,
par exemple dans le cas des jeunes mères, en raison du manque d'informations
concernant les aides qui devraient être disponibles, ou par crainte que cela
puisse conduire à la perte d'un emploi : cela exige, à tout le moins, un
contrôle rigoureux des particularités des avortements pratiqués dans les
juridictions où l'avortement est légal, afin d'identifier les besoins des
personnes ayant recours à l'avortement et les circonstances qui devraient être
créées afin de mieux répondre à ces besoins. (...) Renvoyant aux Observations
finales adoptées le 5 novembre 2004 par le Comité des droits de l'homme à
l'examen du rapport présenté par
Lorsqu'un État choisit d'interdire l'avortement, il devrait au moins suivre attentivement l'incidence de cette prohibition sur la pratique de l'avortement, et communiquer ces informations afin d'alimenter un débat public éclairé. Enfin, dans les circonstances où l'avortement est légal, les femmes devraient avoir accès à des services d'avortement sans discrimination aucune. »
EN DROIT
I. SUR L'EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
53. Aux termes de l'article 35 § 1 de
54. A cet égard, le Gouvernement avance que la
requérante n'a pas épuisé tous les recours disponibles en droit polonais ainsi
que l'exige l'article 35 § 1 de
55. Il invoque la jurisprudence de
56. Le Gouvernement déclare de plus que le système juridique polonais comporte des voies légales qui permettent d'établir la responsabilité des médecins pour tout préjudice dû à une faute professionnelle, que ce soit par le biais d'une procédure pénale ou de demandes civiles en indemnisation. Dans le cas de la requérante, une demande de dommages et intérêts aurait eu de bonnes chances d'aboutir.
57. Le Gouvernement renvoie à cet égard aux
dispositions du code civil relatives à la responsabilité délictuelle. Il cite
aussi deux arrêts rendus par les juridictions civiles dans le contexte de la
loi de 1993. Dans le premier, rendu par
58. La requérante soutient que, d'après la
jurisprudence de
59. La requérante plaide qu'intenter une action
au civil ne saurait dans son cas être un recours effectif. En effet, aucune
juridiction polonaise n'a à ce jour rendu de jugement définitif octroyant des
dommages et intérêts pour un problème de santé dû à un refus d'autoriser un
avortement thérapeutique au titre de la loi de 1993. Elle souligne que les deux
affaires citées par le Gouvernement sont postérieures à la requête qu'elle a
soumise à
60. Enfin, elle signale que, conformément à la
jurisprudence de
61.
II. LE FOND DE L'AFFAIRE
A. Sur la violation alléguée de l'article 3
de
62. La requérante se plaint que les faits de la
cause ont emporté violation de l'article 3 de
« Nul ne peut être soumis à (...) des (...) traitements inhumains ou dégradants. »
63. Le Gouvernement combat cette thèse.
64. La requérante avance que les circonstances
de l'affaire s'analysent en un traitement inhumain et dégradant contraire à
l'article 3 de
65. Elle déclare qu'un traitement revêt un caractère dégradant lorsqu'il est de nature à créer chez les victimes « des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier [et] à les avilir » (Irlande c. Royaume-Uni, arrêt du 18 janvier 1978, série A no 25, § 167). Le fait que l'Etat n'ait pas permis qu'elle bénéficie d'un avortement légal alors que sa santé était menacée et n'ait pas mis en place le mécanisme procédural nécessaire pour qu'elle puisse exercer ce droit signifie qu'elle a dû poursuivre sa grossesse pendant six mois en sachant qu'elle serait quasi aveugle au moment de l'accouchement. L'angoisse et la détresse qui ont résulté de cette situation ainsi que l'effet dévastateur qu'a eu ensuite la perte de sa vue sur sa vie et sur celle de sa famille ne sauraient être exagérés. Avant cette épreuve, elle avait déjà des difficultés à élever ses jeunes enfants avec sa mauvaise vue, et elle savait que sa grossesse anéantirait les capacités visuelles qui lui restaient. Comme son médecin le lui avait prédit en avril 2000, sa vue s'est gravement détériorée, ce qui lui a causé d'immenses difficultés personnelles et souffrances psychologiques.
66.
B. Sur la violation alléguée de l'article 8
de
67. La requérante se plaint que les faits de la
cause ont emporté violation de l'article 8 de
L'article 8 dispose en ses passages pertinents :
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
1. Les arguments des parties
a. Le Gouvernement
68. Le Gouvernement commence par souligner que,
par principe, la grossesse et l'interruption de grossesse ne ressortissent pas
exclusivement à la vie privée de la mère. Lorsqu'une femme est enceinte, sa vie
privée devient étroitement associée au fœtus qui se développe. Il ne fait aucun
doute que certains intérêts relatifs à la grossesse font l'objet d'une
protection légale (Brüggemann et Scheuten c.
Allemagne, no 6959/75, rapport de
69. Le Gouvernement plaide que, pour autant que la requérante alléguait que sa grossesse entraînait une menace pour sa vue en raison de sa forte myopie, seul un spécialiste en ophtalmologie pouvait décider s'il était médicalement conseillé qu'elle avorte. Or les ophtalmologues qui ont examiné l'intéressée durant sa grossesse n'ont pas estimé que la grossesse et l'accouchement constituaient une menace pour sa santé ou sa vie. L'intention de ces médecins était véritablement de protéger la santé de la requérante. Ils étaient tous d'avis que la requérante devait accoucher par césarienne. C'est d'ailleurs ainsi que les choses se sont en fin de compte passées.
70. Le Gouvernement souligne qu'il existait une possibilité d'accouchement qui ne représentait aucune menace pour la santé de la requérante. Dès lors, la loi de 1993 ne permettait pas aux médecins d'émettre un certificat autorisant l'avortement. La requérante n'a donc pas pu bénéficier d'un avortement, car sa situation ne correspondait pas aux conditions fixées par la loi.
71. Le Gouvernement conteste l'argument de la
requérante selon lequel il n'existe en droit polonais aucune procédure pour
évaluer le caractère approprié d'un avortement thérapeutique. Il fait valoir
que les dispositions de l'ordonnance du 22 janvier 1997 émise par le ministre
de
72. Il déclare en outre que l'article 37 de la loi de 1996 sur les professions médicales permet à une patiente d'obtenir le contrôle de la décision d'un médecin quant au point de savoir si un avortement est indiqué, et ce par les collègues de ce médecin. Enfin, si la requérante n'était pas satisfaite des décisions médicales la concernant, elle pouvait se prévaloir des possibilités prévues en droit administratif.
73. Pour conclure, le Gouvernement estime qu'il était loisible à la requérante de contester les décisions médicales rendues à son égard en recourant aux procédures offertes par la loi.
b. La requérante
74. La requérante conteste l'argument du
Gouvernement selon lequel la jurisprudence des institutions de
75. La
requérante se plaint que les faits de la cause ont donné lieu à une violation
de l'article 8 de
76. Elle argue que les droits consacrés par l'article 8 ont été violés dans son chef tant sur le plan matériel, car elle n'a pas pu bénéficier d'un avortement légal, que sur le plan des obligations positives de l'Etat, auxquelles celui-ci a failli en ne prévoyant pas un cadre légal complet protégeant ses droits par les moyens procéduraux appropriés.
77. S'agissant du premier volet de sa plainte, la requérante soutient que les faits très particuliers de la cause ont entraîné une violation de l'article 8. Elle a cherché à se faire avorter lorsqu'elle s'est trouvée face à un risque pour sa santé. Le refus d'un avortement lui a fait courir un grave risque pour sa santé et a emporté violation de son droit au respect de sa vie privée.
78. La requérante combat la thèse du Gouvernement selon laquelle son état n'était pas d'une gravité telle qu'il correspondait aux conditions requises pour obtenir un avortement thérapeutique définies à l'article 4a de la loi de 1993 en ce qu'il n'était pas établi que la détérioration de sa vue après l'accouchement ait été la conséquence directe de la grossesse et de l'accouchement. En effet, elle souligne que cet argument n'est pas pertinent car la loi de 1993 dispose que l'avortement est légal dès que la santé de la femme enceinte est menacée, sans qu'il soit nécessaire que cette menace se concrétise.
Quoi qu'il en soit, cette menace s'est malheureusement matérialisée dans son cas, d'où une grave détérioration de sa vue après son accouchement.
79. La requérante souligne de plus que
l'ingérence dénoncée n'était pas « prévue par la loi » au sens de
l'article 8 de
80. Quant au second volet de son grief, relatif aux obligations positives de l'Etat, la requérante considère que les faits révèlent une violation de son droit à un respect effectif de la vie privée. L'Etat était tenu par l'obligation positive de fournir un cadre juridique complet pour régir les conflits opposant des femmes enceintes et des médecins quant à la nécessité d'interrompre une grossesse en cas de menace pour la santé de la femme. Or il n'existe aucun mécanisme institutionnel et procédural effectif permettant de statuer sur de tels cas et de les résoudre en pratique.
81. La requérante souligne que la nécessité d'un tel mécanisme se faisait et se fait toujours sentir de manière aiguë. Les dispositions de l'ordonnance de 1997 et de la loi sur les professions médicales, invoquées par le Gouvernement, n'apportent aucun éclaircissement car elles sont toutes rédigées en termes extrêmement généraux. Elles prévoient que les médecins peuvent adresser des patientes à un service pratiquant l'avortement thérapeutique, mais sans donner de détails sur la façon de procéder ni sur les délais à respecter. Et, ce qui est grave, il n'existe aucun mécanisme permettant de contrôler ou de contester les décisions prises par les médecins de ne pas adresser la patiente à un service d'avortement.
82. La requérante souligne par ailleurs que l'article 4 de la loi de 1993, pour autant qu'il renferme une exception à la règle d'interdiction de l'avortement, se rapporte à un domaine très sensible de la pratique médicale. Les médecins hésitent à effectuer les avortements nécessaires à la protection de la santé de la femme en raison de la nature très émotionnelle du débat sur l'avortement en Pologne. Ils craignent aussi que leur réputation soit ternie si l'on apprend qu'ils ont procédé à un avortement dans des conditions prévues par l'article 4. Ils peuvent également redouter des poursuites pénales.
83. Elle indique que, l'Etat n'ayant pas mis en place au moins une procédure rudimentaire de prise de décision, les choses ne se sont pas déroulées dans son cas de manière équitable, et sa vie privée ainsi que son intégrité physique et morale n'ont pas été dûment respectées.
84. A son avis, c'est à l'Etat qu'incombe la charge de veiller à ce que les services médicaux dont ont besoin les femmes enceintes et qui sont prévus par la loi soient disponibles en pratique. Le système légal polonais, pris dans son ensemble, parvient à l'effet inverse en ce qu'il dissuade fortement les médecins de fournir les services d'avortement autorisés par la loi. La souplesse que la loi semble offrir pour déterminer ce qui constitue une « menace pour la santé de la femme » au sens de l'article 4a de la loi de 1993 ainsi que l'absence de procédures et de contrôles adéquats tranchent avec le caractère strict de la législation pénale qui sanctionne les médecins pratiquant des avortement illégaux.
85. La requérante indique que lorsqu'il existe, comme dans son cas, un profond désaccord entre une femme enceinte craignant qu'un troisième accouchement ne lui fasse perdre la vue, et des médecins, il n'est ni approprié ni raisonnable de laisser les médecins seuls arbitres de l'équilibre à ménager entre les droits fondamentaux. En l'absence de toute disposition prévoyant un contrôle équitable et indépendant, et eu égard à la vulnérabilité des femmes dans de telles circonstances, les médecins sont quasiment toujours en situation d'imposer leur avis quant à l'accès à l'avortement, en dépit de l'importance primordiale que leur décision revêt pour la vie privée de la femme concernée. Les circonstances de l'affaire révèlent l'existence d'un échec structurel sous-jacent du système légal polonais s'agissant de déterminer si les conditions requises pour un avortement légal sont ou non réunies dans un cas précis.
2. Les arguments des tiers intervenants
a. Le Center for Reproductive Rights
86. Dans
ses observations du 23 septembre 2005 adressées à
87.
88. La plupart des lois et règlements relatifs
aux procédures de recours en matière d'avortement prévoient des délais stricts
pour trancher en la matière, ce parce que le facteur temps est décisif dans le
domaine de l'avortement et que les procédures habituelles de contrôle
administratif ou juridictionnel ne peuvent aboutir dans les délais nécessaires.
Tandis que de telles contraintes de temps obligent implicitement les médecins
qui rejettent une demande d'avortement à transmettre immédiatement le dossier
médical de la femme à l'organe chargé d'effectuer le contrôle ou d'examiner
l'appel, certaines lois renferment des dispositions explicites contraignant les
médecins à procéder ainsi. Dans certains pays, l'organe d'appel ou de contrôle
doit indiquer à la femme l'endroit où l'avortement sera pratiqué si son appel
est accueilli. Lorsqu'un tel organe constate que les conditions nécessaires
pour autoriser l'interruption de grossesse ne sont pas réunies, certaines lois
exigent que la femme en soit informée par écrit. Dans tous les pays, il n'est
pas nécessaire de suivre la procédure d'appel lorsque la grossesse constitue
une menace pour la santé ou la vie de la femme enceinte. Dans certains Etats
contractants tels que
89. L'association indique que la législation de nombreux Etats contractants renferme des dispositions soulignant expressément le droit des femmes à la dignité et à une prise de décision autonome s'agissant des demandes d'avortement et de la disponibilité des services d'avortement. Elle renvoie aux législations norvégienne et française qui mettent fortement l'accent sur l'autonomie de la femme et sa participation active à l'ensemble du processus de décision au sujet de l'accès à l'avortement.
90. Elle conclut que l'absence en Pologne de
procédures de recours rapide porte atteinte au droit des femmes d'accéder aux
soins dans le domaine de la reproduction, ce qui n'est pas sans conséquences
potentiellement graves sur leur vie et leur santé. Cela prive en outre les
femmes du droit à un recours effectif garanti par l'article 13 de
b. La fédération polonaise des femmes et du planning familial, et la branche polonaise de la fondation Helsinki pour les droits de l'homme
91. La fédération polonaise des femmes et du planning familial et la branche polonaise de la fondation Helsinki pour les droits de l'homme indiquent dans leurs observations du 6 octobre 2005 que l'affaire porte essentiellement sur la difficulté à obtenir un avortement thérapeutique, autorisé lorsque l'une des conditions énumérées à l'article 4 de la loi de 1993 est remplie. Ces associations soulignent qu'en Pologne, il arrive souvent en pratique que des médecins refusent d'émettre un certificat autorisant un avortement thérapeutique alors qu'il existe de véritables motifs pour cela. Il arrive aussi souvent qu'une femme obtienne un certificat mais que le médecin à qui elle s'adresse ensuite mette en cause la validité de ce document et la compétence du médecin qui l'a rédigé et refuse en fin de compte de procéder à l'avortement, parfois après que le délai fixé par la loi pour l'avortement légal ait expiré.
92. Le fait qu'en droit polonais, l'avortement soit assimilé à une infraction pénale en l'absence de procédures transparentes et claires à suivre pour déterminer dans quels cas un avortement thérapeutique peut être effectué constitue l'un des facteurs qui dissuadent les médecins de pratiquer de telles interventions. Il y a donc de fortes chances pour que soient rendues des décisions négatives concernant les demandes d'avortement thérapeutique.
93. Il n'existe aucune directive pour définir ce qu'est une menace pour la vie ou la santé d'une femme au sens de l'article 4a de la loi. Il apparaît que certains médecins ne prennent pas en compte une menace pour la santé de la femme du moment qu'il y a des chances qu'elle survive à l'accouchement. En outre, déterminer si la grossesse constitue une menace pour la santé ou la vie de la femme pose un problème lorsque celle-ci souffre d'ennuis de santé multiples et complexes. En pareil cas, on ne sait pas clairement qui doit être reconnu comme le spécialiste compétent pour émettre le certificat médical dont il est question à l'article 2 de l'ordonnance de 1997.
94. La loi polonaise ne prévoit pas de mesures effectives pour contrôler les refus d'autoriser un avortement thérapeutique. En conséquence, les femmes qui se voient opposer un tel refus n'ont pas la possibilité de consulter un organe indépendant ou de faire contrôler pareilles décisions.
95. En bref, la façon dont les garanties
prévues à l'article 4a de la loi de 1993 sont actuellement appliquées en
Pologne va à l'encontre des exigences de l'article 8 de
c. Le forum des femmes polonaises
96. Le forum des femmes polonaises plaide dans
ses observations du 3 novembre 2005 que les droits garantis par l'article
8 de
97. Le forum déclare de plus que, concernant
l'avortement, on ne saurait dire que la grossesse relève exclusivement de la
sphère de la vie privée. Même à supposer que les questions juridiques que pose
la grossesse puissent être traitées sous l'angle de l'article 8 de
98. En particulier,
99. Toutefois, contrairement à ce que la requérante avance, la législation polonaise applicable ne prévoit aucun droit à l'avortement, s'agissant même des exceptions à l'interdiction générale de l'avortement qui figurent à l'article 4a de la loi de 1993. Cette disposition ne confère nullement à une femme enceinte un droit à l'avortement, mais se borne à supprimer le caractère illégal de l'avortement en Pologne dans des situations de conflit entre le droit du fœtus à la vie et d'autres intérêts. En tout état de cause, le simple fait que l'avortement soit légal dans certains cas qui constituent une exception au principe général ne permet pas de conclure que la préférence de l'Etat va à cette solution.
100. Le forum plaide de plus que l'ordonnance de 1997 laisse les médecins libres d'apprécier les conditions dans lesquelles peut être pratiqué un avortement pour motifs médicaux. Les raisons pour lesquelles la grossesse menace la vie ou la santé de la femme doivent faire l'objet d'une attestation de la part d'un médecin spécialisé dans le domaine médical dont relève l'état de la femme. Toutefois, un gynécologue peut refuser de pratiquer un avortement pour des motifs de conscience. C'est pourquoi une patiente ne peut pas traduire en justice un médecin qui a refusé de procéder à un avortement et le tenir pour responsable des problèmes de santé qui surviennent après l'accouchement.
101. Enfin, il considère que l'on ne saurait conclure a posteriori que la grossesse menaçait de porter atteinte à la santé d'une femme enceinte si la détérioration de son état s'est produite après la naissance de l'enfant.
d. L'association des familles catholiques
102. Dans ses observations du 20 décembre