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Cette fois ce sera non ! par Yvette Roudy
Dans quelques jours, les socialistes vont devoir
dire s'ils approuvent ou non le texte proposant pour l'Europe un nouveau
Traité, sorte de règlement intérieur accommodé à la mode libérale que certains
appellent " Constitution "...
Une première. C'est la
première fois que le Parti Socialiste organise pareille consultation et nous
sommes le seul parti européen à le faire. C 'est notre fierté. Est ce une
bonne chose ? C'est excellent pour la démocratie. C'est moins bon pour la paix
intérieure de notre vieille maison. Gardons à l'esprit qu'au lendemain de la
consultation - et quels que soient les résultats - nous devrons vivre ensemble
et préparer un projet de Gauche pour les prochaines élections. Il faudra bien
alors retrouver une cohérence.
Soyons clairs. Nous
sommes tous des socialistes et nous sommes tous des européens. Nous savons tous
qu'une Europe forte est notre seule chance d'échapper à la colonisation
américaine d'un Bush, dominateur, prêchant l'obscurantisme, d'une religiosité
intégriste, au service des plus forts, impitoyable pour les plus faibles.
La nature du texte.
Cela étant dit on peut poser une première question sur le statut de ce texte.
Est ce une Constitution ? Par nature, le pouvoir constituant appartient au
peuple, lequel peut le déléguer a une assemblée constituante. Nous ne sommes
pas du tout dans ce cas de figure.. Certains d'entre nous avaient souhaité que
nos nouveaux députés, en arrivant au Parlement Européen , se saisissent du
texte, en discutent, l'amendent, le réécrivent dans le cadre d'une Assemblée
constituante et soumettent leur copie à referendum aux 25 pays concernés. Voilà
qui aurait été conforme à nos traditions démocratiques. Nous n'avons pas été
entendus.
Une élaboration contraire à la
démocratie dans sa méthode. Nous avons donc un texte élaboré
par 56 représentants des Parlements des Etats membres et candidats, 28
représentants des gouvernements , 16 représentants du parlement européen et 2
représentants de la commission. Mandatés par qui ? Rendant compte devant
qui ? Nous n'en savons rien. Au regard de la Démocratie ils n'avaient aucune légitimité pour parler, peser, décider. Pire encore.. . Trois
" personnalités indépendantes " ont été nommées par les représentants
des gouvernements. Elles ont joué un rôle déterminant. Sans jamais nous
informer. Récemment. l'ensemble des chefs d'Etats a approuvé ce texte, après de
fortes concessions accordées à la Grande Bretagne. Et c'est en fin de course seulement que les peuples enfin sont consultés.
Au moment de Maastricht ou d'Amsterdam nous avions rêvé d'une Europe économique
respectueuse des droits des travailleurs.. Nous y avons cru. Nous avons fait
confiance et nous avons été déçu. On nous dira comme on nous a déjà dit au
moment de Maastricht en 92 ou d' Amsterdam " c'est ainsi que l'Europe
fonctionne . Votez oui . On fera mieux la prochaine fois " Mais il
n'en a rien été. Alors vient un moment où il faut donner un avertissement.
Cette fois ce sera non.
Parce qu'on ne peut - au nom du réalisme - nous demander à nouveau de voter
contre nos convictions. Nous l'avons fait plusieurs fois . La dernière fut pour
élire à la Présidence de la République un homme incapable de proposer un projet ambitieux à son pays, qui n'a qu'un souci : échapper aux explications
qu'il doit à la justice. A trop de renoncements, nous risquons de perdre notre
âme.. . C'est pourquoi cette fois ce
sera non. .
De l'élargissement .
Nous avons dit oui à l'élargissement à 25 avec une dizaine de pays à peine
sortis de la glaciation soviétique. Il fallait les sauver de l'invasion
mafieuse. La majorité de ces pays s'est révélée peu intéressée par notre
conception de la démocratie puisque ils ont fort peu participé aux élections de
leurs députés et qu'ils suivent plus facilement les conseils des Etats-Unis que
ceux de l'Europe. On commence déjà à parler de l'entrée de la Turquie. Demain parlerons nous du Maghreb, manière d'arrimer la Méditerranée à l'Europe. Pourquoi pas ? Voilà des pays proches " sollicités " à la
fois par la super puissante Amérique et par des tendances religieuses
musulmanes intégristes. Si nous voulons constituer un bloc européen capable en
même temps de tenir tête aux Etats Unis, et de résister à la pénétration de
l'intégrisme islamiste nous devons nous préparer. Avant d'accueillir de
nouveaux pays nous devons exiger une modifications des institutions
européennes.. Paraphrasant François Mitterrand et sa théorie des 3 cercles nous
pourrions imaginer : le cercle des fondateurs adhérents à l'euro, celui de la G.B. et des pays nordiques, enfin celui des pays de l'est, des balkans et les autres.
De la règle de l'unanimité.
La règle de l'unanimité empêchera tout changement en particulier en matière de
politique extérieure, de défense, de fiscalité ou de révision du texte. Parce
que ce texte est irréversible. Sa révision est impossible. A cela je dirai non.
.
De la laïcité .
L'article 10 de la charte des droits fondamentaux indique que " la liberté
de conscience et de religion implique la liberté de manifester sa religion en
public et en privé ". Nos amis laïques partisans du oui n'y voient aucune
menace pour notre laïcité. Ils risquent d'être surpris par l'interprétation
qu'en fera la Cour de Justice des Communautés. A cela , aussi je dirai non.
Le rêve d'Antoine Ernest Sellière
réalisé.. Parlons d'une phrase de la 3° partie ( les politiques
et le fonctionnement de l'Union) qui propose d' installer l'Europe économique
sur " un marché unique où la concurrence est libre et non faussée "
On comprend que ce texte plaise à Ernest Antoine Seillière, pour qui "
cette Constitution est un progrès pour une économie plus flexible, plus
productive et pour un Etat allégé. Elle bénéficiera aux entreprises ".
(Université d'été du medef 2004). Cette position du patron des patrons se
suffirait à elle même pour justifier le non des socialistes. Avec cette liberté
supplémentaire, l'épouvantail des délocalisations va se transformer en
cauchemar. Déjà, c'est chaque jour qu'on apprend qu' ici 40 emplois ont
été supprimés au profit de la Chine. Là , 223 vers l' Inde. . Là-bas c'est une entreprise de Rhône-Alpes qui ferme ses ateliers pour en ouvrir en Hongrie.
Selon les estimations de " Deloitte Research", d'ici à 2008 plus de
800.000 emplois de col blancs pourraient être transférés vers l'Inde , la Chine ou l'Amérique latine. On parle d' entreprises " papillons " et d'emplois
" kleenex ".
En Europe, pour l'instant c'est surtout vers la Slovaquie que vont nos entreprises. On parle de délocaliser la fabrication de 300.000
voitures avec un smic à 163 euros pas mois. Le rêve pour Ernest Antoine
Sellieres. .. Ce que la France, la Grande Bretagne ,l'Europe ont connu au moment de la révolution industrielle du 19° siècle se reconstruit a grande échelle au
niveau mondial où l'exploitation de la misère humaine au profit de l' économie
de marché ne connaît aucune entrave.. Il
est temps de dire non. Comme il faut dire non au démantèlement du service
public.
Schizophrénie. Enfin
comment pouvons nous dire oui à un texte en totale contradiction avec nos
engagements pris à l'issue de notre dernier Congrès, en contradiction avec les
thèmes de notre campagne des Européennes ? Serions-nous devenus schizophrènes ?
L'exemple du nouveau Parlement européen.
Il y a quelques jours le nouveau Parlement Européen a su dire non à la
commission. C'est une première. Il est vrai que le nouveau Président de la
commission, le Portugais José Manuel Boroso, proche de Bush, n'avait pas hésité
à octroyer les meilleurs portefeuilles aux petits pays récemment entrés,
complètement soumis aux USA, la France et l'Allemagne, pays fondateurs, devant
se contenter de portefeuilles de moindre importance. Mais la goutte d'eau qui
fit déborder le vase fut la nomination au poste de Ministre de la justice, d'un
italien Démocrate chrétien, Rocco Buttiglione, proche du Pape, connu pour ses
positions sexistes et homophobes.
Les nouveaux parlementaires viennent de nous montrer la voie. Il y a des moments où il faut savoir dire non pour
préserver et préparer l'avenir.