Cercle
d'Etude de Réformes Féministes
Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté
INTERVIEW DE GHALEB BENCHEIKH
Ghaleb Bencheikh est présentateur sur France 2 de l’émission du dimanche matin consacrée à l’islam.
Il nous a fait part de ses remarques sur l’article (paru dans le Monde) de Anne Zelensky et Anne Vigerie, et nous présente sa lecture de l’islam en ce qui concerne les droits des femmes.
CERF : Quel est votre point de vue sur la question de l’islamisme et du voile ?
G.BENCHEIKH :
L’islamisme est une idéologisation de la religion islamique. En réalité, c’est un néologisme récent – si on exclut le vocabulaire d’Ernest Renan à la seconde moitié du 19ème siècle – il traduit cette volonté que nourrissent certains doctrinaires sermonnaires dans le monde arabo-islamique et ailleurs de puiser un projet de société des préceptes coraniques pris au pied de la lettre. Ce serait une solution aux nombreuses questions épineuses et cruciales auxquelles sont confrontées avant tout les sociétés musulmanes…
Quant au voile, c’est un épiphénomène grossi par un jeu de concours dû à une surmédiatisation renvoyant à une radicalité, dédoublée d’une revendication politico-identitaire.
Avant tout, le voile n’est pas une exclusivité islamique. Et, il n’y a aucune raison de le qualifier d’islamique. Son port n’est qu’une simple recommandation non assortie de la moindre coercition. Il ne fait même pas partie des pratiques cultuelles que tout musulman et en l’occurrence toute musulmane observante, doit respecter à partir des cinq piliers bien connus. La recommandation de se voiler fut faite aux croyantes à une époque où les femmes dissolues se pavanaient seins en l’air, cheveux au vent… cette recommandation n’était nullement une nouveauté. Ainsi, Saint Paul dans sa première épître aux Corinthiens, dit que : « toute femme qui prie ou prophétise le chef découvert, c’est exactement comme si elle était tondue… » Toute l’iconographie mariale présente la mère du Christ voilée. Les femmes chrétiennes orthodoxes se voilent encore la tête en Ukraine et dans les campagnes grecques. Certaines femmes juives, observant l’orthopraxie stricte de la loi mosaïque, se rasent le crâne et mettent une perruque !
A mon avis, la pudeur, la vertu et l’expression de foi n’ont nullement besoin d’être matérialisées par un fichu fichu. Le véritable honneur de la musulmane et sa dignité résident dans son instruction et son éducation qui l’affranchissent des carcans obsolètes. Ce sont la connaissance et l’acquisition du savoir qui prémunissent la musulmane de toute atteinte et non le fait de cacher ses cheveux au risque de compromettre sa scolarité et gâcher son avenir. Aucun homme sérieux, sain d’esprit ne fantasme de nos jours sur les cheveux d’une fille. Combien ma désolation est grande de voir des fillettes à peine nubiles emmitouflées dans des tissus bigarrés qui les asservissent et les enlaidissent, alors que Dieu est Beau et Il aime la beauté.
C : Quel est votre point de vue sur les droits des femmes dans l’islam ?
C’est la sempiternelle question. Vous avez bien fait de la poser. Et, s’il ne devait y avoir qu’une seule question ce serait celle-là, tellement son importance me paraît capitale dans l’éducation des sociétés et des générations à venir. Aussi voudrais-je, avant de développer la réponse, partir du constat amer suivant : il est vrai que dans des contrées islamiques la situation de la femme est infrahumaine. Avec son statut de mineure quasiment à vie et sinon emmurée, elle connaît la claustration. Cette situation dégradante est inacceptable. C’est une atteinte grave à la dignité humaine dans sa composante féminine, et nous ne pouvons la tolérer. Mais alors, est-elle due au machisme, au sexisme, à la phallocratie voire à la misogynie des hommes ? Ou est-elle intrinsèque, organique, propre au Coran ?
Si ce n’est qu’un comportement d’hommes ignares et incultes vivant dans des sociétés arriérées et croulant sous des pesanteurs sociétales et culturelles lourdes, la réponse sera : attelons-nous vite, qui que nous soyons – à commencer par les musulmans – à la vaste entreprise qui consiste à polir, civiliser, éduquer et instruire l’ensemble de ces sociétés, en premier les femmes. En revanche, si on nous rétorque que c’est la religion qui est un facteur aggravant, je répondrai en toute humilité : certes, il y a dans le Coran trois ou quatre passages qui paraissent durs contre la femme. Je ne sais pas comment, pris au pied de la lettre, pourrais-je les intégrer dans l’économie du grand œuvre social en cette aube du 21ème siècle. Ils me (nous ?) posent question. Et je suis interpellé dans ma conscience de croyant. Toutefois, loin de moi toute défausse et sans acrimonie aucune, je les trouve beaucoup moins durs et moins problématiques que ce qu’enseigne le Lévitique. Ils sont de la même facture que ce que préconisent certains écrits pauliniens. N’eût été la chevalerie spirituelle nous les eussions reproduits in extenso. Reconnaissons que ce fut le patriarcat abrahamique qui conditionna le statut de la femme dans la culture sémitique. On rapporte que dans la gentilité arabe les femmes étaient réduites à un bien consommable que le fils héritait du père. Sauf que paradoxalement, le paganisme ambiant dans la péninsule arabique investit, curieusement, la femme d’une valeur ajoutée inhérente à l’honneur. Aussi ne faudrait-il pas qu’il y eût un « excédent » de chair féminine qui risquerait d’être razziée par une tribu ennemie comme butin lors des incessantes guerres intestines. Ce serait l’opprobre suprême. Autant minimiser ce risque : réduire le nombre de filles en enterrant vivants les nourrissons femelles, et ce sera autant de bouches en moins à nourrir pour les plus pauvres. L’infanticide des filles nouvellement nées, par enfouissement dans le sable, était une pratique barbare courante à l’époque antéislamique révélant à elle seule, le traitement méprisant vis à vis de la femme.
Voilà que le Coran vient interdire, en condamnant catégoriquement, cette coutume. Il affirme solennellement l’égalité parfaite et ontologique entre la femme et l’homme. Ils sont constitués de la même essence. Ils procèdent tous deux d’une même âme unique, elle-même émanant de Dieu. Nous n’y retrouvons nullement que la femme est née de la côte flottante de l’homme.
D’aucuns parlent d’un androgyne originel qui s’est sexué après coup. Alors l’attrait physique ainsi que les affinités affectives ne seraient rien d’autres qu’une volonté inconsciente de cicatriser la blessure et guérir du premier trauma occasionnés par cette séparation ! Comme nous ne retrouvons nullement que la femme, tentée et tentatrice à son tour, est responsable de l’éviction de l’homme du paradis. Elle n’y est absolument pour rien dans cette mésaventure. Bien au contraire, dans la relation islamique de cet épisode, c’est Adam qui désobéit et transgressa l’ordre divin. Le Coran est très explicite.
Donc rien ne justifie le
comportement irrévérencieux vis à vis d’un être humain récipiendaire de
l’effusion sainte de bonté et de
miséricorde divines. Elle est, tout comme l’homme, icône de Dieu sur Terre,
indispensable à la vie, actrice de l’agir et du devenir humains. Je
l’affirme avec d’autant plus d’aigreur et d’amertume que nous, gent
masculine, ne sommes que la moitié de l’humanité et pas forcément la
meilleure. Sans flagornerie aucune, je crois que si les affaires du monde étaient
confiées davantage aux femmes, nous aurions eu moins de drames et de tragédies.
Gageons que ce vingt et unième siècle sera plus féminin et laissera la place
à plus de douceur, de tendresse et de sensibilité.
Donc rien ne justifie le comportement irrévérencieux vis à vis d’un être humain récipiendaire de l’effusion sainte de bonté et de miséricorde divines. Elle est, tout comme l’homme, icône de Dieu sur Terre, indispensable à la vie, actrice de l’agir et du devenir humains. Sa présence dans le monde est participative de l’harmonie et de l’équilibre.
Le plus exaspérant dans cette navrante « affaire », qui ne cesse de faire débat, à savoir le statut de la femme dans le Coran, est que nous n’arrivons pas à sortir des polémiques stériles connues. En effet, les controverses opposent d’un côté les musulmans traditionalistes, puritains et rigoristes, aux non musulmans effarés par l’effet zoom et la focalisation sur le pervers et le négatif, de l’autre. En réalité, ni les uns, bornés, n’ont saisi la dynamique de progrès insufflée par le Coran. Ni les autres, ignorants, ne sont au fait de l’Histoire et la civilisation islamiques.
Le Coran enseigne, telle une propédeutique et avec la plus grande pédagogie, que les incidences sociales de ses propres versets peuvent tomber en désuétude et être frappées d’obsolescence, dès lors que les conditions relatives au milieu environnant évoluent. Ce fut le cas du vivant du Prophète lors de sa prédication. Ses compagnons et les premiers califes – les mieux guidés - continuèrent cette pratique. Il adaptèrent au gré des changements sociaux leur « compréhension interprétation » du texte coranique ; un texte, somme toute, lisible avec les « lunettes » du moment. Cette souplesse et cette malléabilité ainsi que la capacité évolutive intrinsèque au Coran - que nous avons déjà évoquée - permirent aux premiers jurisconsultes de légiférer avec intelligence et pragmatisme. Qu’ils fussent en Mésopotamie ou en Egypte, leurs législations furent différentes comme elles durent aller de pair avec les exigences de leur temps. L’étroitesse du petit esprit lamentable qu’affiche les doctrinaires islamistes, de nos jours, est d’autant plus affligeante qu’elle est allogène et adventice à la pensée islamique.
Quant à la polygamie, elle n’est pas une prescription ni un droit pour les hommes. C’est une survivance d’une pratique archaïque antéislamique dont l’anarchie fut régulée par le Coran. Eu égard au nombre des femmes de Salomon, par exemple, la réduire à une tétragamie, dans le cadre de la prise en charge des veuves et des orphelines, fut un progrès spectaculaire ! Mieux encore, cette limitation à quatre co-épouses est assujettie à des conditions si draconiennes que de facto elle devient irréalisable. Cette virtualité qui était une réalité au 7ème siècle, est au nom même du Coran impossible à mettre en pratique dès lors qu’il s’agit d’une égalité parfaite de traitement, tant sur les plans matériel et charnel qu’affectif, et c’est cette condition qui est la plus difficile à réaliser, sinon impossible. D’autant plus que le Coran affirme :« Dieu n’a pas placé à l’homme deux cœurs dans sa poitrine. », et, voilà la fin de non recevoir :
« Vous ne pouvez jamais être équitable entre vos femmes, même si vous en êtes soucieux et le désirez ardemment. »
Tout croyant sensé et sincère voit dans ce qui précède une injonction tacite à la stricte monogamie
Je ne peux que stigmatiser l’égoïsme des hommes qui, profitant de l’ignorance des femmes, invoquent des permissions religieuses fallacieuses afin de donner libre cours à leur envie d’assouvir leurs désirs libidineux…
En ce qui concerne la dévolution successorale, reconnaissons à l’islam le mérite d’avoir institué le droit d’héritage pour la femme à une époque où elle-même faisait partie du patrimoine à léguer. En rester à une demi part est, maintenant, inéquitable. Aucun argument captieux sur la non responsabilité de la femme dans la gestion des biens de la famille, n’est convaincant de nos jours.
Enfin, comment peut-on sérieusement admettre que le témoignage d’un homme fût-il le plus simplet doive équivaloir celui de deux femmes fussent-elles les plus lucides et les plus savantes ?! Même si nous ne perdons pas de vue qu’ailleurs, sous d’autres climats, les femmes étaient longtemps récusées comme témoins. Elles ne furent admises comme jurées dans les cours d’assises que depuis quelques décennies uniquement.
Ayant affirmé ce qui précède avec grande conviction, je voudrai rappeler certains faits oubliés ou occultés.
D’une façon générale, la condition de la femme s’inscrit dans l’universalité de l’Histoire humaine. La civilisation a toujours été masculine. La femme n’y était admise, une fois sortie du gynécée, que comme hétaïre, bacchanale, ménade, odalisque ou geisha… Voire meuf dans les banlieues parisiennes.
Nonobstant, la femme était, dès l’avènement de l’islam, reconnue dans sa dignité et confirmée dans ses droits d’être humain. En premier lieu, ses rapports charnels avec son mari seront encouragés et harmonisés. Vers une quête d’une sexualité épanouie – non restrictive à la procréation - la chambre conjugale sera un sanctuaire nuptial où se procurer du plaisir est un acte de piété que l’époux aura à cœur d’assurer.
Son droit à l’acquisition du savoir devient un devoir. Nombreuses sont celles qui ont participé à la vie culturelle des grandes métropoles depuis Cordoue, Grenade, Séville jusqu’à Samarkand et Tachkent en passant par Bagdad et Ispahan. Anticipant madame de Sévigné et mademoiselle de Scudéry, combien de salons littéraires ont-elles animés ? …
Ce sont les poètes arabes qui ont chanté l’amour courtois et respecté la galanterie, à l’instar de celui qui a composé :
« La féminité
n’est pas une tare pour le soleil, bien au contraire
Et la masculinité n’a
rien ajouté au terne éclat du croissant lunaire. »
C : Que pensez vous de la critique de l’Islam par Taslima Nasreen (dans son interview à l’Express du 10-4-03) ?
G.B : Taslima Nasreen a le droit de rejeter le Coran et de penser que c’est une fiction littéraire archaïque. Je comprends aussi qu’elle soit aigrie contre l’islam depuis qu’elle a été victime d’un avis religieux la condamnant à mort par des illuminés exaltés. Toutefois, son attitude n’est pas celle de l’intellectuelle engagée qui réprouve le répréhensible et condamne le condamnable à partir d’arguments froids et d’un raisonnement implacable. Elle peut émettre des critiques tout à fait recevables quant aux différents chantiers titanesques de la laïcité et de démocratie ainsi que les droits de l’Homme dans les pays musulmans. Mais, le discours imprécatoire et mensonger ne règlent rien et ne font jamais avancer les grandes idées. Pourrait-elle distinguer ce qui relève du comportement des hommes et qui peut être inacceptable et ce qui est le cœur d’une spiritualité vivante atemporelle ?
Taslima Nasreen a été victime d’un avis religieux (fatwa) la condamnant, je comprends qu’elle s’emporte, mais il faut être rigoureux : comme je viens de l’expliquer le Coran ne prescrit pas l’inégalité des femmes, il fait passer le message de l’égale dignité des hommes et des femmes.
Si ce qu’elle dit de l’Islam était vrai, il faudrait le dénoncer, il faudrait le changer, mais ce n’est pas vrai.
Il faut avoir une relecture intelligente du Coran, il faut comprendre la symbolique, les métaphores d’un texte qui dit une révélation à une époque ancienne.
Ghaleb Bencheikh est l’auteur de :
- « Alors, c’est quoi l’Islam ? » aux Presses de la Renaissance, octobre 2001
- « L’islam et le judaïsme en dialogue » aux éditions de l’Atelier, septembre 2002