Cercle d'Etude de Réformes Féministes

 

Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté

 

 

INTERVIEW DE FREDERIC ENCEL

 

 

 

Frédéric Encel est docteur en géopolitique, enseigne les relations internationales à l'E.N.A., à l'Institut d'Etudes Politiques de Rennes et à l'ex-Ecole Supérieure de guerre, actuellement Collège Interarmées de Défense.

 

C.E.R.F. :  Est-ce que l'on peut parler d'un nouveau nazisme à propos de l'islamisme ?

 

Frédéric Encel : J'ai tendance à me méfier des amalgames et des passerelles rapides entre différents phénomènes au cours de l'histoire. Le nazisme a été et demeure à ce jour un phénomène très particulier. Cela dit il y a, bien entendu, notamment dans le discours d'un certain nombre d'islamistes radicaux, des éléments qui ne peuvent que rappeler les discours du fascisme et du nazisme.

Je pense, par exemple, à la fraternité vis-à-vis des pauvres ou des présumés pauvres, qui est un discours récurrent. Je pense aussi à une représentation, une perception de la femme comme valorisante,mais en réalité valorisante comme soutien de la famille, surtout à l'intérieur des murs de la maison. Je pense également à un phénomène extrêmement complexe, dont on n'ose pas parler, mais qui relève de ce que Sartre dans " l'enfance d'un chef" avait très bien conceptualisé, à savoir un rapport à l'homme et parfois une homosexualité mal vécue, qui peut mener, qui a mené aux S.A. à l'époque, qui a mené un certain nombre de fascistes italiens, au pouvoir et qui aujourd'hui cristallise et s'illustre à travers la geste des islamistes radicaux.

J'ajoute que le nazisme a été un totalitarisme et que l'islamisme radical, s'il ne prétend pas régner sur l'ensemble des associations ou des organisations qui structurent la société, prétend néanmoins régner sur chacun des individus qui composent l'Oumma, la communauté des croyants et en cela il est concrètement totalitaire. J'ajoute un dernier point : certaines catégories de la population sont absolument honnies, combattues violemment par les islamistes radicaux : les démocrates de manière générale, les francs-maçons de manière plus pointue et bien évidement les juifs.

 

C : Ne risque-t-on pas d'être islamophobe ou raciste....

 

F.E. : Deux défis nous  sont lancés par l'islamisme radical : le premier, c'est l'amalgame, le second, c'est la complaisance.

L'amalgame consisterait à faire de tout musulman un islamiste radical potentiel, ce qui est absolument idiot   et d'autant plus faux que l'immense majorité des gens et notamment des femmes qui, jusqu'à présent, ont souffert ou sont morts sous les coups de l'islamisme radical sont des musulmans. Je pense à l'Algérie ou au Pakistan, mais également à bien d'autres sociétés musulmanes dans lesquelles sévit l'islamisme radical. Donc, ne faisons pas d'amalgame. Je l'ai dit et écrit : en France, remplacer vigi-pirate par une sorte de vigi-arabe serait déjà céder du terrain aux islamistes radicaux, notamment Al Qaeda, et leur permettre de triompher sur la base de ce qu'ils souhaitent, c'est-à-dire créer un grand chaos au sein des sociétés occidentales.

Mais pas d'amalgame ne signifie pas forcément laisser la porte ouverte à la complaisance et la compromission. Sous couvert de ne pas faire d'amalgame stupide, comme je viens de le dire, beaucoup de gens et en particulier beaucoup d'intellectuels n'osent pas critiquer l'islamisme radical, de peur d'être considérés comme islamophobes. C'est très grave. Si dans les années 30, l'on avait moins hésité chez les élites et notamment chez certains intellectuels ou politiques de premier rang, à condamner fortement ce qui était le fléau de l'époque, c'est-à-dire le fascisme et le nazisme, on aurait connu moins de difficultés, c'est un doux euphémisme.

 

C: Est ce qu'il n'est pas aussi bête de dire des critiques de l'islamisme qu'elles sont anti-arabes, que de dire des critiques du nazisme qu'elles auraient été anti-allemandes ?

 

F.E. : C'est d'autant plus stupide qu'aujourd'hui dans le monde entier, 1 milliard 200 millions de musulmans sont la cible et non les acteurs de l'islamisme radical. Bien sûr comme le nazisme, le fascisme et le bolchévisme hier, l'islamisme radical aujourd'hui est très minoritaire, minoritaire mais très agissant, très tacticien et disposant, dans une large mesure par l'Arabie saoudite, de pétrole et de ressources importantes.

Donc ne soyons pas complaisants, parce la complaisance à l'égard de l'islamisme radical aujourd'hui c'est de la complicité. De la complicité à l'égard d'une idéologie qui ne date pas d'hier, qui ne date pas du conflit israélo-arabe, qui ne date pas de la création des USA, mais qui date du 9è siècle de l'ère chrétienne. Cette branche minoritaire a toujours été combattue par des sultans et des califes et, de manière plus générale, par des pans entiers de la société musulmane qui s'en défiaient. Par exemple, aujourd'hui les Wahhabites, au pouvoir en Arabie Séoudite et qui sont véritablement la source idéologique et financière de l'islamisme radical sunnite à travers le monde entier, sont très mal considérés dans les sociétés arabes, d'une manière générale, et a fortiori dans des sociétés musulmanes non arabes, comme l'Asie Centrale et l'Indonésie.

Donc, être complaisant aujourd'hui, nous démocrates d'occident ou du monde entier, à l'égard de ce fléau, c'est abandonner des musulmans et musulmanes d'abord, avant de nous abandonner nous-même par la suite  puisque ces islamistes veulent bien évidemment étendre leurs lois fanatiques au monde entier. Mais pour l'instant, ceux qui souffrent sont en particulier des musulmans et surtout des femmes. En tant que démocrates occidentaux ou non occidentaux, quelques soient nos origines, nos religions, nos nationalités, nous ne pouvons pas permettre à ce fléau d'étendre ses tentacules.

 

C: Est-ce qu' Israël est la cause de l'islamisme ?

 

F.E. : Ni de près, ni de loin et contrairement à ce qu'a dit de manière pitoyable le sociologue Alain Touraine, l'intifada et, de manière plus générale la création de l'Etat d'Israël, et pour remonter encore plus loin dans le temps le sionisme, n'ont strictement rien à voir avec l'islamisme radical.

Ibn Anbal, au 9ème siècle, fonde l'une des 4 écoles de jurisconsultes qui est considérée aujourd'hui comme la racine de l'islamisme radical. L'un de ses disciples, Ibn Aimia au 14è siècle, à Damas, écrit l'essentiel du corpus islamiste, auquel se réfèrent aujourd'hui les islamistes radicaux, y compris les terroristes d'entre eux à travers le monde entier.

Ibn Abdel Wahhab, début 18ème siècle, fondateur du Wahhabisme, a renforcé encore cette lignée doctrinaire.

On peut pousser jusqu'aux frères musulmans.

A toutes ces époques-là, les USA n'existent pas, Israël n'existait pas, le sionisme n'existait pas et j'ajoute que jusqu'au début du 19ème siècle, toute la péninsule arabique et l'Asie Centrale se trouvaient hors de la domination et, pour beaucoup de zones, hors présence occidentale. Autrement dit, ceux qui tentent de faire des USA ou d'Israël ou de la politique de tel ou tel Etat, la source de l'islamisme radical sont soit ignorants de ces réalités, soit des menteurs.

J'ajoute que les islamistes souhaitent bien entendu que se poursuive ad vitam aeternam la guerre israelo-arabe puisque en tant que facteur aggravant, ça leur apporte matière à propagande et combat. Par conséquent, il faut soutenir ceux parmi les musulmans et notamment ceux, parmi les palestiniens modérés et pragmatiques, qui luttent contre l'islamisme radical.

 

C: Quelle est selon vous la distinction entre les musulmans disons "normaux" et les islamistes ? Faut il distinguer ceux qui acceptent le code le la famille et les autres ?

 

F.E. : La modernisation du statut de la femme dans l'islam est l'étalon maître pour distinguer l'islamisme culturel, conservateur, mais pondéré, modéré, moderne et l'islamisme radical pour les raisons qu'on a dites.

D'ailleurs, il y a des éléments d'optimisme :  le Mufti de Marseille, grand musulman, grand français, grand républicain, vient de créer une association musulmane -  c'est un homme croyant et pratiquant, pas un apostat, - visant à moderniser et républicaniser l'islam de France et ça passe par la modernisation du statut de le femme.

 

C :  Vous avez dédicacé votre livre aux femmes ...

 

F.E. : Aux femmes musulmanes, victimes de l'obscurantisme islamiste, parce que dans l'ambiance multiculturaliste qui, hélas tend à régner dans certains milieux en France et en particulier à gauche - hélas car je viens de cette famille politique - on a tendance à oublier que les premières victimes de l'islamisme radical sont les femmes. Car selon la doctrine des islamistes, l'honneur de la femme est une affaire d'homme et la domination, au sens fort du terme de la femme au sein de la famille, c'est véritablement la possession majeure et la richesse majeure. C'est la femme qui va transmettre les valeurs aux enfants et elle est considérée comme pièce maîtresse de la cohésion du clan. Cette possession passe par une soumission à des moeurs rétrogrades (cf la charia), la virginité comme horizon pour toute jeune fille musulmane qui se respecte et respecte sa famille et son clan.

La grande hantise des islamistes, c'est la libération de la femme au niveau des idées, au niveau du corps, des moeurs, car leur schéma et leur construction sont alors cassées. D'où cette pression énorme dès que les islamistes pointent le nez dans une société, sur les femmes : cf femmes vitriolées en Haute Egypte, cf les  femmes violées et massacrées en Algérie, cf bien entendu ces femmes afghanes sous le régime barbare des talibans et cf les jeunes femmes, dans un certain nombre  de nos banlieues, qui malheureusement échappent de plus en plus aux Lois de la République.

Il fallait d'une seule phrase soutenir les premières victimes de l'islamisme radical et rappeler qu'elles sont les premières victimes de cet obscurantisme.

 

C :  Elles en sont aussi les instruments à travers le foulard ?

 

F. E.. : Quand vous avez subi des violences dans votre jeunesse ou été soumise à des règles familiales très strictes, vous avez tendance à les perpétuer violemment. On le voit avec les violeurs, avec les parents qui battent leurs enfants, les hommes qui battent leur femme. Dans l'immense majorité des cas, ces gens eux-mêmes ont été battus quand ils étaient petits et ils ont reproduit ces schémas, surtout les schémas violents. C'est d'autant plus difficile aujourd'hui pour une jeune femme musulmane vivant dans un environnement islamiste de secouer le joug et effectivement d'autant plus que certaines des  aînées ont été instrumentalisées, n'ont connu que ça dans leur enfance et dans leur jeunesse et, par conséquent, veulent reproduire ne serait-ce que par jalousie parfois ,ce schéma aliénant. Oui, beaucoup de femmes sont des instruments au pouvoir des islamistes.

Derrière le Hijab, le voile porté par des adolescentes ou pré-adolescentes, dont on ne peut pas affirmer qu'elles sont conscientes de ce qu'elles font, il y a toute une instrumentalisation, une manipulation, par des groupes et cadres islamistes qui testent, par ces étoffes, la résistance de la laïcité, des Lois et de l'esprit de la République. C'est la raison pour laquelle il faut combattre ce phénomène. Je me range aujourd'hui du côté de ceux qui prônent une législation très ferme sur le port de tous les motifs religieux à l'école à caractère prosélyte et ostentatoire. Il faut aussi continuer à interdire les signes religieux dans les administrations.

La France est une démocratie et il est très difficile d'interdire aux gens de porter des signes religieux hors de l'école républicaine. Je ne vous cache pas que des signes religieux prosélytes et ostentatoires dans la rue ou autres espaces publics heurtent ma sensibilité de laïque et de républicain, mais on ne peut pas légiférer là-dessus, ce serait au détriment de la démocratie.

Au Sénat, lors de la première journée du livre d'histoire au Sénat organisée sur le thème de la laïcité et du clivage entre islams et l'occident, une jeune fille voilée, manifestement manipulée, a pris la parole et tenté de convaincre de la juste cause du voile islamique. J'ai été agréablement satisfait de constater que l'immense majorité de l'hémicycle était composée de gens qui tenaient farouchement à la laïcité et qui contestaient les arguments fallacieux exprimés par cette jeune fille.

 

C :  Quelle(s) action(s) préconisez vous ?

 

F. E. : Deux niveaux selon moi :

Le premier : ne rien céder en matière de laïcité et de loi Républicaine. Ne rien céder quant à l'épanouissement de la petite concitoyenne française musulmane qui naît dans un environnement musulman dominé par un imam islamiste qui ne parle pas français, fiancée de l'extérieur par des groupes radicaux et qui va exiger que les lois du clan priment les lois de la République sur cette petite concitoyenne. Je pense que l'ensemble de la société française, toute religion et sensibilité politique confondues, doit être extrêmement ferme là-dessus.

Deuxième niveau, plus large : se réapproprier les symboles, l'esprit et la perception identitaire de la nation. Il y a aujourd'hui plusieurs millions de jeunes gens qui sont désoeuvrés, qui vivent dans les quartiers et dans des conditions difficiles, qui sont en rupture avec leur histoire et avec un passé qu'ils ne connaissent pas réellement mais dont il savent qu'il a existé. Je parle de ces millions de musulmans qui sont la cible idéale pour les groupes islamistes radicaux en France. Ces adolescents, comme tous les adolescents, ont besoin d'une identité, d'être structurés sur le plan identitaire et politique, de se sentir appartenir à un groupe humain. Si nous tous ensemble, les citoyens, ne cherchons pas à combler ce vide délétère qui existe aujourd'hui, ce ricanement dès qu'on parle de valeurs et notamment de valeurs républicaines, on laissera la place à ceux qui veulent la prendre, c'est-à-dire aux fanatiques et en particulier aux islamistes radicaux.

Je pense qu'il faut réhabiliter la notion de Nation française. Elle a, au sens démocratique du terme évidemment, a permis un véritable miracle :

1° - pendant un siècle et demi, d'éviter tout guerre civile. Fait rarissime à l'échelle des nations.

2° - d'intégrer des millions de gamins qui, comme moi, ont usé leurs fonds de culotte sur les bancs de l'école républicaine à apprendre à aimer, voire admirer, des personnages historiques, des ancêtres dont ils n'étaient pour l'essentiel même pas les descendants. Ça c'est de la magie et de la véritable l'universalité : accueillir réellement tout le monde, toutes les races et cultures, à condition d'imprimer des valeurs de la démocratie, de la République et de la laïcité. Si nous perdons cet "horizon bleu des Vosges"qui est cette notion de Nation française, alors nous perdons un cadre très efficace d'intégration des millions de jeunes gens

Quoi mettre à la place ? L'Europe, c'est probablement trop tôt ; une communautarisation ghettoïsée à l'américaine, ce serait calamiteux, mais malheureusement on y va à grands pas. Il faut donc absolument nous réapproprier, surtout après le 21 avril 2002,  les symboles, valeurs et esprit de la République et de la nation française et ne pas laisser cette identité aux mains de l'extrême droite qui s'en est emparée, l'a instrumentalisée.

Il faut réglementer l'islam de France, comme le christianisme et le judaïsme l'ont été. La République doit pouvoir contrôler ses éventuels adversaires et pouvoir empêcher toute tentative de sédition ou de trouble à l'ordre public. Je pense donc que les Pouvoirs Publics devraient créer un institut de formation des imams, comme il existe des instituts de formation pour prêtres, pasteurs et rabbins, de manière à pouvoir contrôler cet enseignement musulman en France. Le problème, c'est la loi 1905 sur la séparation de l'église et de l'état. En principe, l'Etat ne gère pas ce type de problèmes. On pourrait peut-être adopter une subtilité, sans trahir la Loi, ni l'esprit de la loi de 1905 et établir cette institution en Alsace-Moselle. Petit pirouette qui ne transgresse pas la loi, ni l'esprit et permettrait aux Pouvoirs Publics de contrôler la formation des imams français.

On pourrait exiger des imams de parler français, bien sûr ; d'être de nationalité française, mais augmenter encore cette qualification en posant une condition de générations, c'est trop difficile, car il n'y avait pas assez de musulmans en France dans les années 50 et 60.

 

C : Faut il agir contre la propagande passant par les paraboles ?

 

F.E. : On ne peut rien faire... Néanmoins, le C.S.A.  aurait un rôle à jouer dans la surveillance de certains propos tenus par les islamistes radicaux sur les chaînes de télévision dans les médias. Certains discours sont de véritables appels au meurtre et je pense, par conséquent, qu'on doit pouvoir réglementer certaines images ou propos.

Pour conclure je pense que tant que la femme sera considérée comme intégrant intrinsèquement, ataviquement, le péché originel (et cela est valable dans les 3 religions monothéistes au moins), elle ne bénéficiera pas de la considération à laquelle elle a droit. Or aujourd'hui s'il y a une religion au sein de laquelle doit pouvoir émerger une réforme du statut de la femme, comme ça a été le cas dans une très large mesure dans le christianisme et le judaïsme, c'est l'islam.

La République doit le leur imposer, on en peut pas leur en vouloir d'essayer d'islamiser le monde. Ce ne sont pas eux les méchants, nous sommes les faibles. Dans les luttes idéologiques, identitaires, politiques,

il n'y a pas de méchants et de gentils, mais des faibles et des forts ... On laisse le terrain : ils le prennent.

 

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