Cercle
d'Etude de Réformes Féministes
Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté
ELISABETH
SCHEMLA
Interview
Elisabeth Schemla, journaliste, est directrice du quotidien "Proche-Orient info", paraissant sur le site web www.proche-orient.info.
C.E.R.F. :
En 1970 des féministes estimaient que l’ennemi principal était le
patriarcat, en 2003, peut on dire que l’ennemi principal est l’islamisme, et
en amont le pétrole ?
Elisabeth
Schemla : Le patriarcat, c’est
toujours l’ennemi, le substrat de tout. Tout le combat est de sortir du
patriarcat, non pas pour aller vers le matriarcat, mais pour essayer d’équilibrer
les choses. Il n’y a aucune idéologie
notamment totalitaire qui ne s’appuie fortement sur le patriarcat. Donc il est
faux d’opposer l’un à l’autre. La question vraie pour moi est : l’islamisme
est il aujourd’hui le vrai ennemi ? La réponse est clairement oui.
Le basculement est que tout à coup, s’appuyant sur ce patriarcat, se surajoute une idéologie qui est en fait politique, sous couvert de religion. Ce qui émerge tout à coup en France, est un comportement idéologique qui est en train de remettre en cause tout ce sur quoi la société française est assise et tout ce pour quoi elle a lutté depuis des décennies et des décennies.
Cette idéologie vient de trouver sa traduction institutionnelle avec le conseil français du culte musulman, - ce qui est évidemment la plus grande erreur que la République française ait faite depuis un demi siècle, et je pèse mes mots. Avec l’instauration du Conseil Français du culte musulman, la République Française vient d’accepter de mettre en place un dispositif qui autorise légalement, légitimement l’irruption dans la société française de cet islamisme, avec ce qu’il comporte pour les femmes.
Ce qui est nouveau c’est que ce n’est plus qu’un problème extérieur. Certes c’est financé, commandité, entretenu par l’extérieur, mais beaucoup de musulmans qui aujourd’hui sont engagés dans l’islamisme le sont en tant que français. L’argent des imams, c’est l’argent de l’Arabie, de l’Iran, mais aussi de la Syrie, de l’Irak, mais l’Algérie, qui est aussi un pays pétrolier, a pris soin de ne pas financer l’islamisme en France. L’une des erreurs de l’instauration de ce conseil a été de ne pas régler la question du financement : que je sache le consistoire n’est pas financé par Israël, ni les églises de France par le Vatican.
Je crois que depuis l’ élection de ce conseil, nous sommes profondément piégés.
On a beaucoup dit qu’il fallait structurer l’islam en France, pour marginaliser ces mouvements extrémistes. Or tous ceux qui disaient qu’il fallait faire attention à la façon de structurer, pour ne pas mettre au pouvoir ceux que l’on voulait marginaliser, n’ont pas été entendus. Depuis deux mois, il suffit de regarder ce qui se passe dans la rue : partout en France, dans toutes les sortes de quartiers, on voit des femmes en foulard et en hidjab. Comme si soudainement il y avait eu une autorisation, une sorte de décomplexion, accordée à ces islamistes par le pouvoir politique français.
On est aujourd’hui, toute proportion gardée, puisque nous ne sommes pas un pays musulman, les arabo-musulmans n’étant pas majoritaires en France, dans même sorte de piège que l’Algérie en 1991 : l’ennemi arrive par des élections démocratiques. Seulement une fois que vous avez institutionnalisé l’ennemi, il ne reste qu’une façon de faire : le coup d’état. Qu’est ce que c’est que le coup d’état en France ? C’est de faire une loi. C’est exactement ce qui est en débat. Il faut répondre par oui ou par non à cette question centrale qui est posée et qui celle du coup d’état légal de la république contre les islamistes : faut il légiférer contre le foulard ? On en est là, c’est la seule parade
La réponse de commission Stasi qui a été intronisé par Chirac la semaine dernière, sera une réponse éminemment politique et pas technique. Sur le plan technique, il y a toutes les jurisprudences et tout l’arsenal législatif pour empêcher le foulard. La soumission au parlement d’un projet de loi, si elle est décidé, est une réponse éminemment politique.
Dissoudre le conseil musulman est impossible. Ce qui a été fait est une folie. Il y a des années qu’on l’a dit , mais on n’est pas cru. Ce qui est extraordinaire c’est qu’on n’a pas été cru alors même qu’on avait tout sous les yeux, la burqa d’Afghanistan, 27 ans d’Iran, Hamas, Djihad islamique, Hizlollah, Algérie…
C :
Quand les gens vous disent que le foulard n’a rien a voir avec le terrorisme,
que répondez vous ?
E.S : Qu’ils n’ont qu’à regarder ce qui se passe. Tous les régimes islamistes de la planète, comme par hasard,
voilent les femmes, les emprisonnent, les mettent sous la burqa, leur tranchent la gorge si elles n’obéissent pas etc.
Le problème auquel on se heurte en France aujourd’hui est celui décrit par Geneviève Fraysse : on a longtemps été dans le cadre de la république, or la République ce n’est pas la démocratie, et on va vers la démocratie, c'est-à-dire vers l’acceptation des différences, et il est de plus en plus difficile de faire entendre la voix de la république, on est à un moment où la voix de la république apparaît antagoniste avec celle de la démocratie.
C :
Est ce que l’on peut parler d’ « extrême droite verte »
pour désigner l’islamisme ou le nationalisme extrémiste arabe, auquel il
semble servir d’idéologie justificative actuellement ?
E.S. : Le terme d’extrême droite ne me plait pas beaucoup, parce que avec « extrême droite » on est dans la vie politique laïque. Je pense que nous sommes profondément, au sens le plus classique du terme dans de la conquête religieuse, dans une religion qui est profondément confondue avec le politique, ce qui était le cas du christianisme pendant près de deux mille ans.
C :
Est que vous pensez que la forme démocratique dans les pays islamisés ne peut
que conduire à un renforcement de l’islamisme, ou bien est ce que vous voyez
des perspectives de démocratie ouverte, libérale, laïque, se dessiner en
orient ?
E.S. : Le problème de la démocratie dans tous des pays, c’est que des élections libres (la démocratie formelle), aujourd’hui dans presque tous ces pays mettraient au pouvoir les islamistes.
Quant à la démocratie comme modèle sociétal, il faudra pour y parvenir un travail de fond qui ne peut se mener que sur deux ou trois générations. Ces sociétés n’ont connu qu’empires, colonisateurs, pouvoirs dictatoriaux, et comme échappatoire aujourd’hui, les islamistes. Elles n’ont fait que subir, génération après générations, des violences. Or on ne sort pas des violences subies du jour au lendemain. Mais en même temps, il y a dans chacune de ces sociétés, plus ou moins selon les sociétés, des hommes, des femmes, extraordinaires, des éléments modernistes.
C :
Est ce que vous percevez comme Guy Millière, une mentalité du ressentiment, ou
nihiliste, c'est-à-dire qui préfère
ruiner les sociétés qui réussissent, pour
ne pas se sentir humilié par leur réussite, plutôt que de tenter de réussir
également ? Est-ce que parallèlement, en ce qui concerne les femmes, il y
aurait une mentalité qui préfère opprimer les femmes au point de mettre en péril
l’économie, plutôt que de se sentir humilié d’être seulement égal, et
non supérieur, à elles ?
E.S : Je suis d’accord avec lui. L’être jugé inférieur, femme ou juif, il n’est pas possible de se mettre a égalité avec lui. Ce qui se passe avec les femmes est exactement ce qui se passe avec Israël. Que des juifs deviennent maîtres chez eux, sur leur terre ancestrale, et que de surcroît, ils apparaissent comme les maîtres de populations arabes, je parle d’arabes des territoires, c’est impensable, ce n’est pas supportable.
Quand Madeleine Albright qui était à la fois juive et femme est devenue secrétaire chef d’état, les réactions des chefs d’Etat du moyen orient, j’y était à cette époque, étaient hallucinantes …
C :
Est-ce que l’islamisme peut mettre en péril nos démocraties, ou bien est ce
qu’il ne menace que les droits des femmes, les juifs .. ?
E.S. : Les femmes c’est la moitié de l’humanité. On voit l’état d’avancement civilisationel qu’une société d’abord à la place des femmes, et ensuite, là où elle en comporte, à la situation des juifs.
Je pense qu’il faut qu’il y ait un grand réarmement féministe. Aujourd’hui pour les femmes de toutes origines, il y a une occasion de mener un combat fondamental pour le pays. Il faut mobiliser.
C :
Est ce que vous pensez que les sociétés et politiques sont lâches au point de
faire l’autruche, jusqu’au point où les sociétés seront déstabilisées,
ruinées et submergées par la violence ?
E.S. : Une prise de conscience a eu lieu lorsque Nicolas Sarkozy s’est fait huer au congrès de l’UOIF. Pas à gauche, la gauche est incorrigible, mais à droite cela a été un tournant, une grande claque dans la figure. Mais cela pose énormément de problèmes, car une loi sur le foulard ne va pas dans le sens de la paix, sociale, c’est un risque important, d’autant que cela dépend de la situation au proche orient.
La
nomination par Jacques Chirac de la
commission Stasi sur la laïcité, avec un délai limite à la fin de l’année
2003 pour rendre son rapport, est la conséquence de cette prise de conscience.
Maintenant, il faut qu’ils voient le corps social, la rue, se mobiliser :
s’ils n’entendent pas la voix des femmes, il ne se passera rien.
Bibliographie d’Elisabeth
Schemla :
Ton
rève est mon cauchemar -
Les six mois qui ont tué la paix au Proche-Orient, Flammarion, 2001
Une
Algérienne debout" Khalida Messaoudi, Entretiens avec Elisabeth Schemla,
Editions Flammarion 1995
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