Cercle
d'Etude de Réformes Féministes
Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté
FOULARD AFFAIRE "KHEROUAA
II" :
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS
JUGEMENT DU 10 JUILLET 1996
COMMENTAIRE
Il
est ici présenté un jugement qui a condamné le port du foulard en soi,
contrairement à la jurisprudence du conseil d’Etat, ainsi que les
conclusions à notre avis lumineuses du commissaire du gouvernement devant ce
tribunal.
Il
est a noter que parmi les motifs retenu, figurait le fait que la jeune considérait
que « l’expression de sa foi prévalait sur le respect des lois de la
république.
Considérant
que, par une décision en date du 27 mars 1995, le recteur de l'académie de
Créteil a rejeté le recours hiérarchique formé à l'encontre de la décision
du conseil de discipline du lycée Albert SCHWEITZER au Raincy excluant définitivement
de cet établissement Mlle Samira KHEROUAA,
que
cette décision se fonde d'une part sur le fait que le règlement intérieur du
lycée Albert SCHWEITZER "impose aux élèves la discrétion dans la
manifestation de leur attachement personnel à des convictions notamment
religieuses et interdit les signes ostentatoires, tel le foulard islamique ou
les attitudes provocatrices risquant de perturber le déroulement des activités
d'enseignement ou de troubler l'ordre de l'établissement"
et
d'autre part sur la circonstance que Mlle Samira KHEROUAA "a refusé
avec détermination de retirer le signe ostentatoire religieux qu'elle portait
et persiste dans son obstination à considérer que l'expression de sa foi prévalait
sur le respect des lois et règlements de la République" ;
Considérant
qu'il résulte des pièces versées au dossier que le port du voile par Mlle
KHEROUAA présentait un caractère ostentatoire et revendicatif ; qu'ainsi il y
a lieu de rejeter la requête dirigée contre la décision du recteur de l'Académie
de Créteil confirmant son exclusion du lycée Albert SCHWEITZER au Raincy
D
E C I D E Article 1 er :La requête
susvisée de Mlle KHEROUAA est rejetée
CONCLUSIONS DU COMMISSAIRE DU
GOUVERNEMENT, MICHEL BOULEAU, DEVANT LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PARIS DANS L'AFFAIRE
KHERROUA II (extraits)
[Dans
un premier temps, le commissaire du gouvernement élimine deux arguments qui
pourraient plaider pour l'interdiction du foulard : le " trouble à l'ordre
public" dû aux protestations contre ou pour le foulard, et la dangerosité
du foulard pour l'élève dans certains cours. Ces motifs, qu'il qualifie d'échappatoires,
ne pourraient selon lui être invoqué dans l'affaire jugée. ]
"En
l'espèce donc le problème du port du foulard dit islam se pose à vous sous sa
forme la plus pure.
Le
motif de fait de la sanction n'étant pas en cause, la question qui se pose à
vous est uniquement celle de savoir si cette sanction pouvait à bon droit être
fondée sur l'art. 112 du règlement intérieur du lycée.
Article
aux termes duquel (nous citons) « 112. II (l'élève) s'engage à respecter la
liberté d'opinion de chacun, la laïcité et la neutralité du lycée dans les
domaines politiques et religieux. En conséquence, le port par les élèves de
signes discrets, manifestant leur attachement personnel à des convictions,
notamment religieuses est admis dans l'établissement. Mais les signes
ostentatoires, qui constituent en eux-mêmes des éléments de prosélytisme ou
de discrimination, sont interdits. Sont interdits, aussi les
attitudes provocatrices, les manquements aux obligations d'assiduité et de sécurité,
les comportements susceptibles de constituer des pressions sur d'autres élèves,
de perturber le déroulement des activités d'enseignement ou de troubler
l'ordre dans l'établissement ».
C'est parce
que cette affaire pose clairement une question de principe que nous proposerons
d'abandonner la méthode casuistique habituelle en la matière et de renoncer à
toutes échappatoires plus ou moins honorables qu'elle offre pour raisonner que
sur les principes.
Et la réponse
de principe qui nous parait devoir être apportée à cette question sera,
disons-le d'emblée clairement, une réponse non pas contra legem, ce que nous
ne vous proposerons jamais, mais (et vous êtes libres de nous s'il est vrai que
les arrêts de règlement sont toujours interdits), une solution à rebours
d'une jurisprudence qui exprime un choix prétorien reposant plus sur un parti
pris idéologique que sur un raisonnement juridique.
Pour
ce qui nous concerne, il nous parait possible de soutenir :
-
d'une part que les textes invoqués comme fondement de la position du Conseil
d'Etat n'ont pas aussi nécessairement qu'on le prétend cette conséquence que
le respect de la liberté de conscience doive impliquer le droit de manifester
ostensiblement son appartenance religieuse dans les locaux des établissements
de l'enseignement public et que le principe de laïcité peut avoir un autre
sens et une autre portée que ceux qui e sont donnés par les avis et
décisions sus évoqués,
-
d'autre part, que le port de ce foulard islamique est, par la signification
qu'il a nécessairement, incompatible avec l'ordre public français.
(...)
Considérons les textes par lesquels ont été expressément motivés l'arrêt
Kherouaa et les décisions qui ont suivi.
L'art
10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 (..),
l'art 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 (...).
Acceptons de considérer ces textes fondateurs comme des textes de droit
positif.
Il
est certain que ces textes fondateurs posent le principe de la liberté de
conscience et de cette liberté de conscience particulière qu'est la liberté
de conscience religieuse. Liberté qu'ils inscrivent dans la traditionnelle
dialectique de l'exercice d'une liberté et du respect mutuel des droits, et
donc de l'ordre public. Mais nous ne voyons vraiment pas en quoi ils auraient
par eux-mêmes pour conséquence d'imposer une interprétation de cette liberté
de conscience supposant que soit prohibée l'exclusion, dans certaines
institutions publiques, de toute manifestation d'opinions politiques,
philosophiques ou religieuses.
Considérons
par ailleurs l'art. 10 de la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation
:
"Dans
les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect de
pluralisme et du principe de neutralité de la liberté d'information et de la
liberté d'expression. L'exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux
activités d'enseignement ».
Voilà
qui parait plus précis et il est incontestable que ces dispositions ont pour
objet et pour conséquence d'autoriser (ou d'interdire que l'on proscrive par
principe) certaines activités "parascolaires" à caractère notamment
politique.
Mais
activités qui manifestement doivent prendre place hors du temps scolaire
proprement dit. Il n'est d'ailleurs pas certain que lesdites dispositions
remettent en cause la jurisprudence antérieure en la matière, jurisprudence
restrictive illustrée par l'intéressant arrêt du ministre de fEducation c.
Rudent du 8 novembre 1985. Arrêt qui, au nom du principe de neutralité,
excluait la possibilité pour les « groupements politiques » d'élèves
d'organiser des réunions politiques au sein de ce lycée.
En
tout état de cause, nous attendons que l'on nous démontre qu'il était de
l'intention du législateur de 1989 que les manifestations de la liberté
d'expression dont il posait le principe prissent place dans les salles de classe
et pendant les cours.
Restent
« les engagements internationaux de la France », c'est-à-dire en fait pour
l'essentiel l'art. 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales. Art. 9 que certains présentent
comme le fait juridique qui implique un abandon de notre conception
traditionnelle de la laïcité et suppose nécessairement la reconnaissance au
nom de la liberté de conscience du droit d'exprimer ses convictions et
appartenances religieuses dans les écoles publiques (voir en ce sens l'article
de notre collègue Lercher dans le numéro de la revue « Administration » de
mars 1995 ou l'article du professeur Durand Prinborgne dans la Revue française
de droit administratif de janvier
1990).
Rien
là, nous semble-t-il, de substantiellement nouveau par rapport aux dispositions
de notre droit interne et là encore rien qui implique, à la lettre de ces
dispositions, que ne puissent être par principe prohibées au nom de l'ordre
public ou du respect des libertés d'autrui, la manifestation de conviction
religieuse, à certains moments, pour certains individus, au sein de certaines
institutions.
En
matière d'enseignement, ces stipulations ont pour seuls effets certains
d'interdire tout endoctrinement religieux (ou anti-religieux) dans
l'enseignement public et d'imposer que les parents aient la possibilité de
faire dispenser un enseignement religieux à leurs enfants.
Serait-ce
alors que le juge chargé d'assurer le respect par les Etats signataires de ces
dispositions aurait une nouvelle fois en la matière fait la preuve de son
habituel impérialisme et serait allé au nom d'une interprétation «
constructive» de la convention au-delà de sa lettre (en faisant siennes au
surplus des manières de penser et des catégories juridiques étrangères à
notre culture juridique).
Pas
du tout, au contraire, la Cour européenne des droits de l'homme fait preuve en,
la matière de beaucoup de réserve et d'un grand pragmatisme et, en l'état
actuel de sa jurisprudence on ne trouvera pas de décision donnant explicitement
au principe de la liberté de conscience la portée que lui donne l'arrêt
Kherouaa.
En
fait, c'est, sans y être contraint et très paradoxalement, le Conseil d'Etat
qui au nom d'un droit d'interprétation national de la Convention a fait prévaloir
une interprétation de cette convention contraire aux conceptions de notre
tradition juridique nationale (voir en ce sens le commentaire du professeur
Flauss aux Petites Affiches du 1er mars 1995).
A
s'en tenir donc à une interprétation, sans extrapolation abusive des textes
pertinents, tant de droit interne que de droit international, rien ne nécessitait
que fût remise en cause une conception traditionnelle du principe de laïcité.
Rien n'imposait que l'on abandonnât au profit d'une laïcité dite «
pluraliste et tolérante » la conception traditionnelle de la laïcité qui prévalait
en France, celle qui, apaisée après avoir été militante, s'est
pratiquée sans trop de heurts pendant plusieurs décennies.
Dans
d'autres pays, germaniques ou anglo-saxons, dont l'histoire religieuse fut différente,
dont l'Etat ne se forma pas dans les mêmes conditions que le nôtre et dont les
cultures manifestent une approche différente du fait religieux, il fut admis
que le respect de la liberté de conscience impliquait de tolérer, aussi
largement que possible, y compris dans les services publics, les manifestations
extérieures des appartenances religieuses.
Cette
conception s'est répandue et il semble qu'elle soit en passe de triompher. Mais
doit-on voir là un inévitable progrès ou l'indice d'une aliénation
culturelle ?
II
nous semble qu'elle n'était pas sans quelques vertus cette conception
traditionnelle de la laïcité, expression en matière religieuse du principe général
de neutralité de l'Etat lui-même décliné du principe d'égalité devant la
loi.
Cette
conception de la laïcité fondée sur l'idée que tenir la religion hors des
services publics est le plus sur, et peut-être le seul, moyen d'assurer véritablement
la neutralité de ceux-ci et donc la liberté de conscience. Que la plus
parfaite manière d'être neutre est d'ignorer, ou plus exactement de
s'imposer, par un effort délibéré de volonté, un devoir d'ignorance. De
n'accepter de connaître du religieux que ce qui est nécessaire pour
l'identifier comme tel et ne risquer de blesser inutilement aucune conviction.
Cette
laïcité dont il nous paraît que l'on pourrait assez justement soutenir
qu'elle était la solution française à la question du respect de la liberté
de conscience par les institutions étatiques. Solution certes marquée par une
forte défiance à l'égard des passions religieuses, comme d'ailleurs
politiques, de leurs dangers, des ravages, qu'elles peuvent faire dans de jeunes
esprits, supposés influençables. Mais solution qui nous paraît encore
aujourd'hui raisonnable et surtout la plus parfaitement respectueuse de la
liberté de conscience.
Si
la laïcité de l'Etat est comme nous le pensons non une limite à la liberté
de conscience mais la condition de celle-ci, vouloir opposer l'un à l'autre n'a
plus de sens et il faut refuser
d'entrer en la matière dans le raisonnement (appliqué en matière de police)
qui passe de l'affirmation d'une liberté publique à la prohibition des
interdictions générales et absolues. La transposition à laquelle procèdent
les arrêts Kherouaa et suivants de ce principe, d'ailleurs dégradé en une
formule passe-partout que l'on reprend sans s'interroger sur son sens et sa portée,
la transposition de ce principe dégagé en matière de police générale est
ici sans objet.
Sans
objet aussi parce que l'ordre à l'intérieur d'une institution n'est pas
assimilable à l'ordre public dans l'espace public, sur tout ou partie du
territoire de la République, cet ordre public qui est l'objet du pouvoir de
police général.
II
y a quelque chose d'absurde à parler d'interdiction générale et absolue parce
que cette interdiction concerne tous les locaux (mais les seuls locaux) d'un
collège ou d'un lycée comme si cela se pouvait comparer avec la restriction
d'une liberté sur tout le territoire d'une commune ou d'un département.
Par
ailleurs, l'ordre au sein d'une institution est nécessairement plus étroit,
plus précis ou mieux défini. En fait, son sens même est différent et il
permet d'imposer des contraintes au-delà de celles qui doivent être respectées
dans le "monde extérieur », d'imposer, par exemple, des normes de
comportement, des usages vestimentaires ayant pour objet d'identifier
l'institution ou de renforcer l'identité d'une collectivité en clair...
d'imposer notamment le port d'un uniforme ou au moins de certains attributs
vestimentaires.
Observons
d'ailleurs qu'il n'y a pas si longtemps le juge administratif, qui n'était
pourtant pas considéré comme liberticide, ne voulait voir dans les règles
Imposant de telles contraintes que des mesures d'ordre intérieur, considérant
par hypothèse que ces règles ne mettaient pas en cause l'exercice d'une liberté.
(Cela
a-t-il changé ? Les uniformes scolaires doivent-ils être par principe prohibés
parce qu'ils empêchent l'expression des particularismes religieux, il
conviendrait de suggérer à un élève du Prytanée ou à une demoiselle de la
Légion d'honneur, sanctionnée parce que ne portant pas l'uniforme réglementaire
de le soutenir).
Où
s'arrêter d'ailleurs si le respect de la liberté de conscience suppose le
droit de manifester, même sous condition, une appartenance religieuse car,
somme toute, le raisonnement suivi par le Conseil d'Etat peut parfaitement être
transposé aux agents publics (et y compris à ceux d'entre eux civils ou
militaires soumis à
l'obligation de port d'un uniforme).
Cette
extrapolation est abusive dira-t-on car les règles ne peuvent être les mêmes
pour les usagers du service public agents dudit service.
L'arrêt
Kherouaa précise d'ailleurs très clairement que l'enseignement doit être
dispensé dans le respect de la neutralité de l'Etat par les programmes et par
les enseignants et dans ses conclusions M. Kessler fait de la distinction
entre usagés et agents du service entre élèves et enseignants une summa
divisio.
Nous
citons :
"
A partir de là se déduit une distinction
qui n'a pas été selon nous suffisamment soulignée entre les obligations
faites aux enseignants et celles faites aux élèves. Parce que l'enseignement
est laïque, l'obligation de neutralité s'impose absolument aux enseignants qui
ne peuvent exprimer dans leur enseignement leur foi religieuse. En revanche,
parce que la liberté de conscience est la règle , un tel principe ne saurait
s'imposer aux élèves qui sont de manifester leur foi, la seule limite à cette
manifestation étant la liberté d'autrui ».
Cette
distinction nous parait mal fondée et sans portée.
Mal
fondée surtout pour ce qui concerne le service public de l'enseignement. Les
usagers de ce service ne sont pas en assimilables à ceux du métro ou de la
poste. Ce ne sont pas des clients du service public. Non seulement il y passent
une part importante de leur temps et ne se trouvent pas dans leurs rapports
entre eux dans la même situation que les voyageurs d'un même compartiment mais
ils y participent directement et nous reprendrons à notre compte ce que
disaient les commentateurs autorisés de l'arrêt Rudent sus évoqué à
l'actualité juridique de droit administratif de décembre 1985 :
"
Pour bien comprendre comment un principe général relatif au fonctionnement du
service public peut en l'espèce affaiblir une liberté reconnue à des
personnes - les élèves - des usagers et non pas des agents de ce service, il
faut considérer deux points
•
d'une part, la présence des élèves dans l'établissement scolaire et les
activités qui, de leur fait, s'y déroulent ne peuvent pas être dissociées du
fonctionnement de l'établissement,
•
d'autre part, les élèves sont en tout état de cause directement associés au
service public de l'enseignement, dès lors qu'ils appartiennent à la
'communauté scolaire' ».
L'élève
s'il n'est pas agent du service public est plus qu'un simple usager, quasiment
un participant à ce service.
Par
ailleurs, si la liberté de conscience suppose le droit des usagers de
manifester dans le cadre d'un service leur appartenance religieuse, si donc ces
manifestation supposées se faire dans le respect du pluralisme et sans prosélytisme,
ne sont pas incompatibles avec le principe de laïcité mais sont en fait
l'expression même d'une laïcité redéfinie, la laïcité "pluraliste
et tolérante", on ne voit pas bien au nom de quoi refuser cette forme
d'exercice de la liberté de conscience aux enseignants
(en l'assortissant simplement, éventuellement de conditions plus strictes que
pour les élèves).
En
réalité, il semble que l'on soit véritablement
aujourd'hui en présence non pas d'un concept de laïcité ayant des portées
différentes selon les catégories auxquelles il s'applique, usagers / agents du
service, mais de deux conceptions distinctes de la laïcité. L'une totalement
renouvelée à l'usage des élèves, l'autre, la conception traditionnelle à
l'usage des enseignants.
Deux
définitions, de surplus irréductibles l'une à l'autre, pour une même notion
juridique c'est une de trop et c'est l'assurance d'un conflit au terme duquel
l'une des deux conceptions triomphera. Si triomphe la conception «renouvelée"
de la laïcité, les élèves qui auront obtenu le droit de porter le foulard
revendiqueront le droit de le conserver comme enseignante. Et il n'y aura pas
d'argument à leur opposer...
Il
nous semble donc que non seulement rien ne s'opposait à ce que se perpétuât
une définition traditionnelle de la laïcité, conçue comme un principe de
neutralité quasi absolue et un refus délibéré
de connaître dans le service public la face religieuse du citoyen mais qu'il y
avait au contraire d'excellentes raisons d'en réaffirmer la portée.
En
tout état de cause rien ne nous paraît s'opposer à ce que se perpétuât
comme l'ont fait tant le conseil de
discipline que le recteur l'on donne de l'art. 112 du règlement intérieur du
lycée de Raincy une interprétation conforme à cette définition et à ce
qu'il soit en conséquence interprété
comme n'autorisant que le port de signes religieux discrets et prohibant donc
tous les autres, nécessairement considérés comme ostentatoires.
Cette
seule considération suffirait (dès lors que l'élève portait ostensiblement,
c'est-à-dire en l'imposant à la vue de ses maîtres et de ses camarades un
insigne dont le caractère religieux loin d'être nié était revendiqué, et dès
lors qu'il lui fut plusieurs fois demandé de l'ôter et qu'elle s'y refusa) à
ce que nous concluions que c'est à bon droit et sans que cette sanction soit
manifestement disproportionnée à la gravité de la faute qu'une décision
d'exclusion pouvait être prise à son encontre par le conseil de discipline et
confirmée par le recteur.
Mais
compte tenu de la nature même de cet insigne et de la signification qu'il a,
nous considérons que l'édiction de cette sanction, non seulement était
possible mais s'imposait absolument.
Il
nous paraît en effet que son port met en cause l'ordre public, non pas
seulement l'ordre public dont le maintien est l'objet des mesures de police et
dont d'ailleurs le respect de la laïcité de l'Etat est une composante mais
l'ordre public comme ensemble des normes qui correspondant aux exigences
fondamentales, sociales, politiques et morales, qu'une société considère
comme lui étant consubstantielles et qui sont les principes mêmes de son
ordre juridique.
Cet
ordre public qui impose d'écarter l'effet des volontés privées. Cet ordre
public reflétant les spécificités essentielles d'un ordre juridique justifie
que soit écartée la loi étrangère.
On
dira qu'il est nécessaire pour juger de la
question de savoir si le port du foulard islamique est incompatible avec l'ordre
public ainsi défini de donner un sens à cette pièce de vêtement et que, par
principe, le Conseil d'Etat a, expressément par la voix de son commissaire du
Gouvernement et implicitement par ses arrêts, refusé que le juge se livre à
cette opération.
Et
pour citer encore une fois M. Kessler voici ce qu'il disait :
"Mais
s'agissant du foulard islamique, une telle approche n'est pas fondée sur le
signe lui-même mais sur sa perception. Ce qui est en cause bien évidemment
n'est pas le foulard mais le symbole qu'il représente et l'interprétation donnée
de la place de ce signe au sein de la religion musulmane, certains y voyant à
tort ou à raison un instrument d'oppression. Or, ni l'administration ni a
fortiori le juge ne peuvent rentrer dans une telle logique sans méconnaître
gravement les principes de laïcité de l'Etat, de liberté religieuse et de
respect des consciences ".
Nous
ne comprenons pas, comme d'ailleurs de nombreux commentateurs, ce refus de
principe de donner un sens au port d'un insigne dont le motif serait religieux.
Donner du sens est ce que fait tous les jours un juge, un sens à un mot, une
parole, un sens à un comportement, et cela est dans la nature même de l'acte
de juger. Pourquoi la circonstance qu'un insigne soit qualifié de religieux ou
même soit clairement tel suffirait-elle pour faire obstacle, par principe, à
une recherche de signification, recherche qui est une opération de
qualification juridique et qui est donc encore du droit, qui est purement du
droit ?
Vous êtes
donc tout à fait fondés à chercher, et à dire le cas échéant, ce que
signifie un symbole religieux, ce qu'il signifie pour ceux qui l'arborent et ce
qu'il signifie pour ceux qui le perçoivent (et découvrir éventuellement ce
qui s'avance masqué derrière les apparences du religieux).
II
est quand même étonnant que l'on puisse trouver assez de sens à un insigne
pour le tenir pour religieux mais pas assez pour connaître ce qu'il exprime !
Et
ne nous dit-on pas par ailleurs que bien évidemment il ne saurait être
question d'admettre des insignes qui porteraient, par le seul fait d'être portés,
par eux-mêmes en quelque sorte (ce "par eux-mêmes" cheville de tous
ces raisonnements) qui porteraient atteinte aux grands principes.
Fort
bien mais cela suppose de donner un minimum de sens à ces insignes et quelle
attitude adopter devant les sectateurs du soleil soutenant que la svastika
tournant dans le bon sens n'est qu'un symbole solaire, ou devant eux qui
arborant une croix celtique feraient valoir que cette forme de la croix n'est
pour eux que le support privilégié de l'art irlandais des entrelacs.
II
faudrait bien alors accepter de donner un sens aux choses. Pour ce qui nous
concerne, nous nous reconnaissons ce droit et pour ce qui est de l'insigne
religieux aujourd'hui en cause nous soutiendrons qu'il a au moins trois
significations
•
la signification d'un acte, non de prosélytisme, mais de pression sur les
correligionnaires ou supposées telles de celles qui arborent ce foulard;
•
une signification politique;
•
et la signification de l'affirmation par celles qui le portent d'un système de
valeurs incompatibles avec l'ordre public au sens précédemment exposé.
Lorsque
comme c'est le cas de l'espèce il ne correspond à aucune tradition du pays
d'origine et lorsqu'il n'est pas généralement porté par les adeptes d'une
religion, le port d'un insigne religieux est nécessairement revendiqué comme
une obligation qu'impose le strict respect d'une religion et a donc nécessairement
le sens d'un reproche implicite à ceux qui ne le portent pas. II constitue
par lui-même de la part de celui qui le porte et s'affirme ainsi comme plus
pur, plus intègre plus religieux une pression sur les autres adeptes de la même
religion. Pour reprendre l'expression de Camille Lacoste-Dujardin dans un
article de la revue Hérodote il est pour eux ou pour elles la réactivation
d'un remord.
En
deuxième lieu, le port dans ces conditions de ce foulard islamique a
aussi, indéniablement, la signification d'une communion idéologique avec des
mouvements qui même s'ils ne sont pas toujours extrémistes dans les moyens
qu'ils prônent ont pour projet la subversion de nos principes politiques.
En
troisième lieu : le port de ce foulard est l'illustration d'une conception
du statut de la femme qui heurte non pas seulement; ce ne serait pas
suffisant, l'idée que l'on se fait en Occident depuis quelques décennies des
droits politiques et sociaux des femmes, mais, beaucoup plus profondément, la
conception, qui domine notre civilisation, d'une égalité fondamentale des
hommes et des femmes et d'une liberté personnelle de celle-ci exclusive de
toute soumission de principe à un
homme, père, frère, époux. C'est cette égalité et cette liberté de
principe qu'expriment depuis des siècles, même si la portée des droits
concrètement reconnus aux femmes a pu varier, nos pratiques judiciaires, nos
règles successorales ou nos usages matrimoniaux (usages illustrés par ce qui
est une des marques de notre civilisation, le refus de principe de la
polygamie).
Or, et quoique l'on puisse en dire, le port
du foulard islamique, conçu comme un impératif religieux, renvoie nécessairement
à une autre conception, inéluctablement opposée, du statut de la femme et de
la nature de ses rapports avec des éléments masculins de la société.
On pourrait évidemment soutenir que cette
conception du rôle et du statut de la femme a pour objet de protéger sa dignité,
dignité autrement définie mais qui devrait être regardée, au nom d'une
certaine idée de l'égalité entre les cultures comme tout aussi estimable et
donc admissible.
Nous refusons un tel relativisme et ses conséquences.
II faut affirmer qu'il n'y a pas de dignité
dans l'inégalité et l'asservissement, même revendiqué. Affirmer aussi
qu'un individu n'a pas le droit de renoncer à sa dignité.
Un libéralisme qui devient trop syncrétique
se dégrade en une tolérance sans principe et, rapidement, c'est à la notion même
de dignité de la personne humaine que l'on ne sait plus donner de sens.
Il
ne s'agit bien évidemment pas de refuser purement et simplement de reconnaître
le droit au port du foulard en cause dans la rue ou en privé, mais le service
public, et plus spécialement le service public de l'enseignement, est,
symboliquement, un lieu plus chargé que les autres espaces où se déploient
les activités humaines des valeurs de notre civilisation et des principes sur
lesquels est fondé l'Etat. II s'ensuit que peuvent, et doivent, y être prohibés
des comportements qui, ailleurs, seraient tolérables.
C'est
pourquoi au bénéfice de l'ensemble de ces observations nous concluons à ce
que, refusant de désavouer des fonctionnaires qui ont su reconnaître leur
devoir et qui ont eu le courage de le faire vous rappeliez les principes de
notre Etat et les valeurs de notre civilisation en rejetant la requête présentée
par M. et Mme Kherouaa."