Cercle
d'Etude de Réformes Féministes
Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté
LA
COUTUME ET LES FEMMES EN NOUVELLE CALEDONIE
L’Archipel
Calédonien - Grande Terre et Iles
loyauté - , situé dans le Pacifique Sud, est peuplé de 200 000
personnes.
DES
BONNES ET DES MAUVAISES COUTUMES
Les
difficultés physiques, matérielles que rencontre une population, d’autant
plus qu’elle est isolée du reste de l’humanité, peuvent l’amener à des
régressions épouvantables. Il faut un minimum de sens critique face aux
coutumes, au lieu de les sacraliser sans même savoir d’où elles viennent. La
« vérité » d’un peuple est parfois plutôt dans son avenir -lié
à la mémoire du passé bien sûr - que dans son passé.
« 1l est de tradition en Nouvelle-Calédonie,
que les indigènes n'ont pas toujours mangé de la chair humaine. Apingea
...raconte ainsi l’origine de cette coutume : «
Il y a longtemps déjà, une année, la récolte des ignames, des taros, des
cocotiers manqua; l'on se nourrit d'abord de racines et d'herbes, mais comme
cela ne suffisait pas, l'on du recourir à d'autres moyens; l'on mangea d'abord
les vieilles femmes, puis les vieillards et enfin les enfants; la disette eut
une fin, mais l'on avait pris goût au repas humain, et l'on continua. »
« Presque toujours les guerres n'ont
d'autre but que de se procurer de la viande fraîche ». Les auteurs
racontent une de ces guerres en 1857. « La guerre n'est pas le seul moyen
que l'on emploie pour se procurer de la chair humaine. : le moindre
motif, un rien suffit; celui, par exemple, de ne s'être point assez courbé
devant le chef, la stérilité pour la femme, etc., etc ». « La
chair des enfants est réputée très délicate. Dans quelques tribus ....
les femmes stériles sont de destinées à être mangées et cela arrive
d’autant plus souvent que leur chair est réputée des meilleures. »
« Ce
sont les tribus les plus riches en plantations ... qui se livrent le plus
souvent à cette abominable coutume. De plus ....les chefs et les naturels de
distinction ont seuls ce privilège, et ces deux classes ne manquent jamais de
nourriture; c'est encore à l'époque de la récolte des ignames, par conséquent
dans un moment d'abondance, que ces festins sont les plus communs. Si l'on
demande à un chef pour quel motif il se livre à une semblable coutume, il vous
répond : « Quand un ami vient te voir, que fais-tu? Pour lui faire bon
accueil, tu tues un mouton, des poules, etc. Moi, je n'ai ni moutons, ni poules,
je tue un homme ; d'ailleurs, quand j'ai mangé de la chair, je suis plus fort. »
Nous croyons que cette
horrible coutume n'est pas uniquement la conséquence de penchants dépravés,
mais que tout homme ayant besoin de chair, un instinct naturel a dû pousser ces
malheureux à pourvoir à la privation de chair animale par des moyens qui répugnent
à nos idées d'hommes policés.»[1]
LA
LOI ET COUTUME
La
constitution de 1946 art 82 et la constitution de 1958 art75 reconnaissait
expressément le statut civil particulier des canaques. Les canaques
pouvaient renoncer au statut coutumier pour le droit commun.
Selon
l’ordonnance du 15 octobre 1982, les litiges relevant des règles coutumières
sont jugés par la juridiction de droit commun complétée par des assesseurs
coutumiers.
La
loi organique de 1999 a permis aux canaques de renoncer au droit commun pour
revenir au statut coutumier. Elle a permis au congrès de Nouvelle Calédonie de
légiférer dans certains domaines, donc le droit coutumier.
Un Sénat coutumier est créé, avec des attributions consultatives.
Le
propre du droit coutumier étant de ne pas être une loi débattu et écrite
mais d’être issu de la pratique, parler de
légiférer en matière de coutume est propre du non sens.
La
législation aurait pourtant en matière de coutume une utilité certaine :
« elle permettra de préciser un certain nombre de règles coutumières
dont beaucoup connaissent l’existence sans être en mesure d’en déterminer
les contours. »
On
avait bien cru remarquer cet avantage, dans le royaume de France, il y a
quelques siècles : écrire les coutumes facilite leur connaissance.
En
effet, quel est le droit coutumier kanake ?
Réponse
résumée des juristes : demandez aux ethnologues.
« Nous
savons que dans tous les aspects de la vie sociale mélanésienne des règles
existent, mais actuellement nous en connaissons mal les contours. Il faut espérer
que la dynamique créée par l’accord de Nouméa et la loi organique permettra
une meilleure appréhension de ces règles.
En créant un sénat coutumier la loi organique a doté le pays de
l’institution qui permettra peut être d’avancer dans la connaissance et le
renouvellement du droit coutumier. »[2]
Pour
quiconque pense vivre en France dans un état de droit, ces propos semblent être
un gag.
Ajoutez :
la complexité des institutions créées par le nouveau système, des conflits
entre Mélanésiens et non Mélanésiens, entre
Mélanésiens ressortissant d’aires coutumières différentes...
Il
y en a sans doute un qui la connaît mieux que les autres, la coutume :
le chef. « Pour les
vieux Mélanésiens la coutume était le « chef » et on était libre
quand on lui obéissait »[3].
Selon
Régis Lafargue, conseiller référendaire à la Cour de Cassation[4] :
«
le statut coutumier est fondé sur un privilège de masculinité et un principe
de primauté quasi-absolue du groupe (le clan) sur l’individu. » Ce que
confirme l’anthropologue Christine Salomon
« Les sociétés kanakes anciennes se singularisent par une idéologie
et une pratique sociale caractérisées par le principe de hiérarchie et
l’absence corrélative de principe d’égalité dans les relations entre
personnes.
Selon
le professeur de droit Gérard Orfila, le droit coutumier kanake est relatif à
la propriété foncière, aux relations au sein de la tribu et au statut civil.
Selon
ce statut civil : le mariage est organisé par le clan, comme le divorce,
l’autorité parentale appartient plus à l’oncle qu’aux parents.
Régis Lafargue précise « La femme battue par son mari,
lorsqu’elle prend l’initiative de quitter le domicile conjugal, supporte
tous les torts. »
Quand
aux relations au sein de la tribu elles sont caractérisées par une hiérarchie
complexe.
La
coutume est aussi pénale : elle prévoit des punitions corporelles
collectives.
Ainsi
« Dans la pratique subsistent quelques règles coutumières qui sont
manifestement incompatibles avec l’ordre public de notre pays » ...
C’est le moins que l’on puisse dire.
Elles
seraient d’ailleurs « une cause de tension à l’intérieur de la société
traditionnelle (certaines personnes ne les acceptent pas) » Ne s’agirait
il pas des femmes par exemple ?
LES
FEMMES EN PAYS KANAK
En 2000,
l’ethnologue Christine Salomon donne les informations suivantes sur des
aspects du droit kanake :
« Le
droit particulier kanak, qui régit encore aujourd'hui les questions relevant du
droit civil (notamment le droit de la famille), permet maintenant la «
dissolution du mariage » à condition que les deux clans intéressés - celui
de l'homme et celui de la femme - y consentent, mais cette procédure reste tout
à fait exceptionnelle. »
A
propos des viols collectifs qu’elle estime relativement fréquents dans le
milieu rural et qu’elle rattache à d’anciennes coutumes, Christine Salomon
note que « La peine coutumière
infligée est une réprimande ou une bastonnade publiques des coupables, voire
de tous les jeunes, garçons et filles. A cela s'ajoute parfois un processus de
réconciliation entre clans ... Enfin, on conclut éventuellement une promesse
de mariage de l'intéressée avec son « copain » violeur. Aujourd'hui, seule une minorité des victimes, insatisfaites de
ce genre de réparation, porte plainte devant la justice française. »
« Au
vu de cet apprentissage d'une sexualité de viol chez les garçons et de
soumission chez les filles, on devine qu'il n'est pas admis qu'une femme,
dans le cadre de relations conjugales, se refuse sexuellement à son mari ou
à son compagnon. Ce refus et la jalousie sexuelle semblent la cause la plus
habituelle des violences domestiques commises par les hommes »
« Ce
sont les femmes non mariées vivant avec un homme et ayant avec lui des enfants
portant son nom qui sont les plus vulnérables dans ce genre de situation ....
elles ne sont pas autorisées à riposter à la violence du conjoint par
des cris ou des coups et savent qu'en cas de rupture, elles devront renoncer
à leurs enfants, même s'ils sont encore très petits ».
«
Entre les années 1955 et 1975 à Monéo et à Nékliai. A Tiéta, des jeunes
filles s'étaient « enfuies » pour aller danser dans une fête où l'une
d'elles s'était fait violer, à leur retour le chef condamna à être battues,
non seulement l'ensemble des filles, mais aussi leurs mères qui auraient dû
les empêcher de partir.
Christine
Salomon[5]
observe une prise de conscience des femmes, qui les pousse à demander plus que
les hommes à sortir du statut coutumier et à recourir à la justice de droit
commun contre les violences sexuelles. Elle estime que
c’est la reconnaissance de la revendication kanake lors des accords de
Matignon qui a servi de déclencheur au recours à la loi.
« Auparavant
les maris, étaient considérés comme en droit de discipliner femmes et
enfants, les coups étant perçus comme une expression légitime du mécontentement
masculin. Il en résulte que les sociétés kanakes ne jugeaient pas intolérables
les violences physiques ou sexuelles, mais les atteintes aux règles d'alliance
et à la norme de soumission des femmes aux hommes. La hiérarchie entre les
sexes suffisait à justifier les comportements domestiques violents, y compris
aux yeux des femmes elles-mêmes »
Les
années 90 ont donc marqué un tournant judiciaire et social
: insatisfaites des sanctions coutumières appliquées aux auteurs, un certain
nombre de victimes ...se sont adressées
aux institutions judiciaires qui, dans le contexte politique consécutif aux
Accords de Matignon (1988), ont saisi l'occasion d'uniformiser les
condamnations, que la victime soit européenne ou mélanésienne et d'affirmer
l'impartialité de la justice considérée comme coloniale par les Kanaks et
encore souvent appelée " justice des Blancs ".
Les réponses féminines
ne sont pas seulement individuelles mais aussi collectives à travers les
associations de femmes. Au début des années 90, ces associations préparèrent
la mobilisation contre les abus d'alcool fréquemment liés aux conduites
sexuelles masculines violentes. Quelques années après, elles contribuaient à
la suite de SOS Violences Sexuelles à rompre le silence sur les violences
sexuelles subies par les enfants. Depuis 1999, elles font, jusque dans les
localités de l'intérieur et des îles, de la lutte contre les violences
conjugales un de leurs objectifs déclarés, organisant réunions et marches de
protestation à ce sujet, ce qui était impensable il a peu de temps encore et témoigne
d'une nouvelle avancée de l'idée des droits des femmes et de l'égalité
« La
reconnaissance de la revendication kanake lors des Accords de Matignon a servi
de déclencheur au recours par les femmes à la loi pour des actes jusque là
implicitement ou explicitement légitimés par la coutume. L'augmentation des
recours en matière pénale indique une montée en puissance de l'idéologie égalitaire,
bien que ces choix individuels s'opèrent parfois encore au risque de cassure
avec le milieu social et d'exclusion par le groupe de parenté ou de résidence. »
« Un certain
nombre de femmes kanakes ont également choisi, ces dernières années, de
renoncer à leur statut personnel et d'opter pour le droit commun afin d'échapper
à certaines règles coutumières concernant le droit de la famille »
Ainsi « Chaque année la majeure partie des demandes de statut
particulier enregistrées à l'état civil émane de femmes »
« Les
changements de statut des femmes qui optent pour le statut commun ... préoccupent
les institutions coutumières (exclusivement masculines), mais si la question
revient régulièrement à l'ordre du jour, les coutumiers se sont jusqu'alors
majoritairement prononcés contre le divorce. »
Il y a
apparemment un grand paradoxe dans ces évolutions : valorisation marquée
de la coutume avec tous ses aspects sexistes d’un côté, et revendications
par des femmes de leur droit à l’égalité, qui se traduit par un recours à
la justice non coutumière.
Mais
finalement il peut s’expliquer par le contexte démocratique du « retour »
de la coutume.
La « kanakie »
se trouve dans un Etat démocratique relativement fort, où les associations
sont libres, où la justice est accessible,( même si ses repères sont brouillés
par l’interférence des coutumes, même les abus coutumiers ne sont pas
toujours sanctionnés), c’est à dire dans un Etat où la coutume ne peut pas
revenir totalement à ses vieux démons inégalitaires.
Dans ce
contexte, la dimension de reconnaissance de dignité que représente la
prise en compte de la culture d’un peuple colonisé, joue peut être une sorte
de rôle thérapeutique, un booster d’estime de soi, qui peut encourager l’émancipation
des « dominé-es » dans ce peuple, y compris contre les mauvais
aspects de la coutume.
____
[1]
Essai sur la
nouvelle-calédonie
Vieillard et Deplanche chirurgiens
de la marine impériale librairie challamel ainé 1863 l'harmattan 2001
[2]
Gérard Orfila Régime législatif,
réglementaire et coutumier de la nouvelle calédonie.
[3]
Raymond Verdier Droit et cultures Revue semestrielle
d’anthropologie 1999/1 -
[4]
« Statut personnel, coutume et justice en Nouvelle-Calédonie »
www.enm.justice.fr
[5]
C. SALOMON, Les femmes kanakes face aux violences sexuelles : le
tournant judiciaire des années 1990, journal des anthropologues, 82-83,
2000, pp. 287-307