Cercle
d'Etude de Réformes Féministes
Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté
LES
TRIBUNAUX ISLAMIQUES DE MAYOTTE
Mayotte est une ile de 130 000
habitants située près de Madagascar, dans l’archipel des Comores.
Elle fut achetée par la France
en 1841 à un sultan d’origine malgache.
Le statut personnel y est
reconnu par les Constitution de 1946, 1958 et par la loi statutaire de Mayotte
de 1976.
Mayotte
est le seul territoire d’outre-mer ayant des juridictions spécifiquement compétentes
en matière de statut personnel : les cadis, juges musulmans.
L’ « organisation
de la justice indigène » à Mayotte est régie par des décrêts de 1934,
1939 et une délibération du 3 juin 1964 de la chambre des députés des
territoires des Comores.
Des
lois récentes ont heureusement rapproché le droit de Mayotte du droit commun.
UN
CODE MUSULMAN DATANT DE 1236
Selon
la délibération du 3 juin 1964 :
"Les
Qâdis jugent d'après la doctrine musulmane chaféite telle qu'elle est exposée
dans les traités de "Minhadj at Toilibin" (« guide des zélés
croyants), "Fath ul Qarib", "Kitab et Tunbin", "Fath el
Moeni" et leurs commentaires. Ils peuvent invoquer aussi les coutumes
locales propres à chaque île".
L’auteur
du guide des zélés croyants est né à Damas en l'an 631 de l'hégire, soit en
1236 après JésusChrist.
L'une
des difficultés provient de ce que seul le "Minhadj nt Toilibin" est
traduit en langue françaises, mais pas intégralement.
Il n’existe pas de recueil de jurisprudence.
Le
dernier recrutement des Cadis, organisé au cours du premier semestre 1998, n'a
donné lieu à aucun recrutement, les candidats n'ayant pas répondu aux critères
suivants : "(posséder) une connaissance du Coran et du Minhadj ;
s'exprimer en français et savoir parler l'arabe ; avoir un casier judiciaire
vierge"
Le décrêt
de 1939 a toutefois interdit la lapidation.
JUSTICIABLES
PARLANT MAHORAIS, JUGE PARLANT FRANCAIS, JUGEMENT EN ARABE
La délibération
du 3 juin 1964 ne prévoit aucune
forme particulière de publicité de l'audience.
Lors
d’une audience, le professeur Sermet[1]
constate : "Les décisions du Grand Cadi sont néanmoins consignées,
en français et en arabe, dans un registre public, satisfaisant ainsi au
principe de publicité des décisions, en fonction du chef de compétences mises
en oeuvre : compétence d'appel, de premier degré, compétence d'exécution..
La
langue utilisée par les comparants est le mahorais, langue parlée couramment
à Mayotte. La restitution écrite des arguments, toutefois, se fait en arabe,
par le Grand Cadi qui tient la plume, et par un des greffiers qui retranscrit en
français. Le deuxième greffier prend des
explications en français. La décision sera également rendue en français et
en arabe. Les trois langues utilisées posent évidemment problème car
non seulement la compatibilité entre elles n'est pas possible évidente mais
encore il n'est pas certain que les agents de la justice musulmane aient
toujours une maîtrise parfaite de l'arabe et du français. Dans ses
explications, le mari alterne entre le français et le mahorais tandis que son
épouse n'emploie que le mahorais. En temps qu'il juge utile, le grand Cadi nous
donne une traduction en français des arguments. ».
UN
DROIT MUSULMAN TEMPERE PAR LA COUTUME MAHORAISE
Le
trop faible niveau des cadis, en droit comme en langue française ou arabe, les
empêche de rendre une justice totalement acceptable. Ce manque de connaissances
entraîne, par ailleurs, nécessairement des dérives intégristes tendant à
faire une application absolutiste de la règle islamique.
La
coutume mahoraise a pour effet de nuancer la portée inégalitaire de la règle
de droit musulman, aussi bien pour les femmes que pour les enfants naturels.
Elle puise son origine dans l'imprégnation des mentalités dans la culture française
chez des mahorais ayant suivi des études secondaires ou des études plus
approfondies en France. Plus largement, les coutumes locales sont l'expression
d'un droit original correspondant aux besoins contemporains de la société
mahoraise.
LE
NOM
Il
n’y a pas de nom de famille en droit musulman. L’organisation de l’Etat
civil posaient de sérieux problèmes à Mayotte. L'ordonnance du 8 mars 2000 a
fixé les règles de la détermination du "nom patronymique".
LA
COUR DE CASSATION RECONNAIT L’APPLICATION D’UN DROIT INEGALITAIRE
La
décision cadiale peut être contestée auprès des juridictions de droit commun
: Tribunal supérieur d'appel, statuant en chambre d'annulation musulmane, puis
Cour de cassation française.
Dans
un contentieux prenant son origine à Mayotte et la Cour de Cassation a ainsi
fait application du droit musulman. Un français originaire de Mayotte, décède
en laissant des enfants légitimes et des enfants nés hors mariage. La
succession fut attribuée aux enfants légitimes en application du droit
musulman. Alors que le droit traite
à égalité les enfants que leur filiation soit légitime ou naturelle.
Cour
de cassation, lère chambre civile, 25 février 1997, Consorts
Abdallah contre M. Younoussa Abdallah et autres.
INDIGENES
OU AUTOCHTONES ?
Qui
relève du statut personnel de Mayotte ?
Seulement
les anciens « indigènes » ou
« autochtones » musulmans résident à Mayotte. Les mahorais
installés en métropole , et les musulmans non mahorais installés à Mayotte
n’en relèvent pas.
CE
SERAIT NEANMOINS BON POUR LES MAHORAIS ...
D'après
Madame Nafissata Bint Mouhoudho, déléguée de la collectivité territoriale
aux droits aux femmes, aujourd'hui encore un nombre important de jeunes
mahoraises préfèrent choisir le statut de droit musulman et respecter ainsi
plus profondément la religion musulmane. Il s'ensuit que la pratique de la
polygamie, notamment, reste encore très présente. Elle en conclut que les
cadis ont encore une place très importante
dans la société mahoraise et que rien ne peut se décider sans leur aval.
Entretien du 29 mai 1998.
Cette
position est difficile à comprendre. En
caricaturant à peine on peut parler d’une justice : 1- inégalitaire 2-
hasardeuse 3 - sur une base raciale.
L’identité
française ne nécessiterait elle pas impérieusement que l’on fasse juger les
questions relevant du droit personnel
- en débattant en gaulois, -
au vu du droit gallo- romain, - et que les jugements soient retranscris sur des
menhirs en latin ?
D’autre
part, si le droit musulman teinté de Mahorais est bon pour les français
mahorais musulmans habitant à Mayotte, on ne voit pas pourquoi il ne serait pas
indispensable aux mêmes, habitant en métropole (ou à d’autres musulmans).
Le professeur Luchaire estime
que « Ce sultan n’était pas d’origine mahoraise. C’était un
malgache converti à l’islam. D’ailleurs les musulmans d’origine arabe
apparaissent comme des conquérants plus que comme des autochtones. L’annexion
de Mayotte par la France a libéré le mahorais d’une certaine forme de
servage. »
Une jeune mahoraise explique :
« A l’école coranique, on est en voile, et à l’école la¨que,
je ne veux pas dire qu’on nous oblige à enlever le voile, mais enfin
je ne dirais pas le contraire non plus. » (propos recueillis par Sophie
Blanchy[2])
Les mahorais semblaient être
tombés du servage dans Kafka.
L'EVOLUTION RECENTE
Depuis 2000, des réformes se
succèdent. Non sans opposition ... de la part des tenants métropolitains du
statut personnel.
L'ordonnance du 8 mars 2000
a fixé les règles de la détermination du nom patronymique, de la célébration
du mariage par devant un officier d'état civil, qui peut être une femme, et de
la comparution personnelle des futurs époux. Elle a permis aux parents de
reconnaître leur enfant naturel, d'établir son lien de filiation et de
l'admettre dans le patrimoine successoral.
La loi du 11 juillet 2001
a reconnu à la femme le droit d'exercer un travail rémunéré, d'ouvrir un
compte bancaire et de disposer librement de ses biens propres, sans autorisation
préalable de son conjoint.
Le 22 juillet 2003, les
dispositions 52-1 à 52-4 suivantes y ont été insérées :
TITRE VI : DU STATUT CIVIL DE
DROIT LOCAL APPLICABLE À MAYOTTE.
Article 52 : La collectivité départementale
et l'Etat mettent en oeuvre conjointement les actions destinées à assurer, à
Mayotte, l'égalité des femmes et des hommes.
Article 52-1 : Le statut civil
de droit local régit l'état et la capacité des personnes, les régimes
matrimoniaux, les successions et les libéralités.
L'exercice des droits,
individuels ou collectifs, afférents au statut civil de droit local ne peut, en
aucun cas, contrarier ou limiter les droits et libertés attachés à la qualité
de citoyen français.
En cas de silence ou
d'insuffisance du statut civil de droit local, il est fait application, à titre
supplétif, du droit civil commun. Les personnes relevant du statut civil de
droit local peuvent soumettre au droit civil commun tout rapport juridique
relevant du statut civil de droit local.
Article 52-2 : Nul ne peut
contacter un nouveau mariage avant la dissolution du ou des précédents.
Le présent article n'est
applicable qu'aux personnes accédant à l'âge requis pour se marier au 1er
janvier 2005.
Article 52-3
: Le mariage est dissous par le décès de l'un des conjoints ou le
divorce ou la séparation judiciairement prononcée.
La rupture unilatérale de la
vie commune par l'un des époux est une cause de divorce.
Les époux sont égaux dans les
conditions et les effets de la dissolution du mariage.
Cette disposition n'est
applicable qu'aux personnes accédant à l'âge requis pour se marier au 1er
janvier 2005.
Article 52-4 : Est interdite
toute discrimination pour la dévolution des successions qui serait contraire
aux dispositions d'ordre public de la loi. Le présent article est applicable
aux enfants nés après la promulgation de la loi n° 2003-660 du 21 juillet
2003 de programme pour l'outre-mer.
Commentant
la dernière réforme, le député de Mayotte, Mansour Kamardine, s'en félicite
:
"
Il s'agit d'une réforme équilibrée, étalée dans le temps.
Elle
prend en compte les familles polygamiques actuelles, puisque la monogamie
entrera en vigueur à partir de 2005 et au profit des seuls jeunes en âge de se
marier à cette date. Elle instaure une dualité de juridiction, donc une
meilleure prise en compte de la juridiction cadiale. Désormais, les
justiciables de droit local auront le choix entre la justice de droit commun et
la justice de droit local, cette dernière étant pleinement reconnue dans ses
compétences en matière d'état civil et de capacité des personnes, de régimes
matrimoniaux, de successions et de libéralités. Elle met fin - à la
grande satisfaction des jeunes - à la règle selon laquelle, dans la
succession, la part du garçon est le double de celle de la fille. Grâce à ce
texte, les enfants seront égaux indépendamment de leur sexe.
De
retour récemment dans l'île, j'ai pu constater l'adhésion massive - contrairement
à ce que disait l'un de nos collègues - de nos concitoyens à ces évolutions.
Les échanges que j'ai eus avec l'autorité religieuse ont permis de lever les
inquiétudes qu'elle pouvait nourrir légitimement.
Depuis
qu'elle est française, c'est-à-dire depuis 1841, Mayotte a connu une seule
vraie réforme de société, celle de 1846, avec l'abolition de l'esclavage et
l'interdiction de la traite des nègres. C'est l'une des oeuvres historiques de
Victor Schoelcher. Désormais, l'histoire retiendra cet amendement comme la
deuxième véritable réforme de fond de cette société attachée à ses
traditions, mais en même temps décidée à se moderniser. Car, à la différence
de celle de 1846, celle-ci est voulue et initiée par les Mahorais eux-mêmes
avant d'être portée par le Gouvernement. Je veux la dédier à toutes les
femmes mahoraises, car elle les rétablit dans leur statut de victimes :
victimes d'une tradition, certes ancienne, mais qui fait mal et qui est de moins
en moins acceptée.
(...)
Je vous demande personnellement de voter ce texte, à l'instar de nos collègues
du Sénat, car il est conforme aux souhaits des Mahorais. Il s'inscrit dans le
cours normal de leur combat pour Mayotte française et de son accession au
statut de département et de région ultrapériphérique. En votant ce texte,
vous garantirez aux femmes actuellement tenues dans les liens polygamiques des
droits nouveaux et la possibilité de faire arbitrer leurs litiges matrimoniaux
par un juge impartial et indépendant. En votant ce texte, vous offrirez à la
jeunesse mahoraise la chance d'espérer pour demain. Vous mettrez ainsi un terme
à la tyrannie masculine, tout en assurant à cette société une pratique
renouvelée de ses traditions et une foi musulmane pleinement assumée. Surtout,
vous les accepterez dans la République."
Par
contre, un de ses collègues, ancien secrétaire d'Etat à l'outremer, est alarmé
:
":
à titre personnel, je suis d'accord avec la direction que revendique M.
Kamardine. Mais qu'est-il écrit dans ce texte ? (...) article 52-1, au deuxième
paragraphe : « L'exercice des droits, individuels ou collectifs, afférents au
statut civil de droit local ne peut, en aucun cas, contrarier ou limiter les
droits et libertés attachés à la qualité de citoyen français. »
Il
y a là une contradiction fondamentale, madame la ministre. Si la Constitution
reconnaît, dans son article 75, un statut de droit local, ce n'est pas pour que
celui-ci s'estompe, voire disparaisse par le biais du deuxième alinéa de votre
nouvel article 52-1, qui est la négation même de statut de droit local dans la
mesure où il y est déclaré que la qualité de citoyen français prime en
droit sur le statut local !
Je
ne dispose pas à cette heure de tous les éléments pour vous répondre précisément
sur les conséquences de votre texte. Reste que si la Constitution de 1958 a
inscrit la possibilité de conserver un statut de droit local, c'est pour
prendre en compte les coutumes, les règles qui existaient outre-mer et qui
reposent sur des pratiques remontant à des décennies. (....)
Introduire
dans un texte de loi des dispositions qui, bien au-delà du statut de la femme,
objet de nos débats de ce soir, vont d'une façon générale à l'encontre du
statut de droit local me paraît particulièrement périlleux sur le plan
juridique. Je ne crois pas, madame la ministre, que vous en ayez mesuré toutes
les conséquences."
Comme
diraient certains psychanalystes, le ciel va nous tomber sur la tête si l'ordre
symbolique traditionnel disparaît.
La même loi du 22 juillet
2003, au sujet d'une disposition fiscale, prenait en compte pour définir son
champs d'application, le lieu de résidence. A ce propos, la Ministre à
l'Outremer expliquait :
"
Ce dernier dispositif repose sur un critère objectif et rationnel : la résidence
dans une collectivité d'outre-mer. Ce critère est le seul qui puisse être
retenu sans porter atteinte au principe constitutionnel d'égalité. En effet,
retenir un autre critère, tel que celui « d'originaire » de l'outre-mer,
pourrait conduire à une violation de ce principe, tant il est délicat de déterminer
la notion d'originaire : ainsi, la naissance, la parenté, ou même une certaine
durée de résidence outre-mer dans le passé ne sauraient constituer, même
combinés entre eux, des critères suffisants ou déterminants pour répondre à
la situation envisagée ; ils encourraient au contraire le risque d'arbitraire
et ruineraient la cohérence de la mesure."
Si l'on conteste la notion
d'"origine" au nom du respect du principe d'égalité, en matière
fiscale, il est difficile de comprendre pourquoi on n'observe pas la même
prudence dans le domaine beaucoup plus sensible et personnel, celui du statut
civil.
_____
[1]
Laurent Sermet Professeur à l’université de la Réunion, Droit et
cultures Revue semestrielle d’anthropologie 1999/1 - Numéro consacré aux
autochtones de l’outremer français - L’harmattan