Cercle
d'Etude de Réformes Féministes
Face aux obscurantismes (l'islamiste et les autres) : le Devoir de Liberté
GHASSAN ASCHA
MARIAGE, POLYGAMIE
ET RÉPUDIATION EN ISLAM
Justifications des auteurs arabo-musulmans contemporains
Éditions L'Harmattan
1997
Ghassam Ascha, né en 1948 en
Syrie, est professeur d’islamologie à l’université d’Utrecht (Pays Bas).
Pour lui :
« Loin
de toute justification par rapport à l'Occident, la femme arabo-musulmane doit
elle aussi obtenir ses droits du fait que la société d'aujourd'hui, telle
qu'elle a évolué, le demande et le justifie et non pas parce que ces droits
seraient contenus dans une «
meilleure » interprétation ou lecture du Coran. (...)
Après
la libération juridique de la femme, par les autorités politiques, ces ulémas
seront contraints de développer une apologétique pour adapter la tradition
religieuse à la réalité sociale, en admettant, par exemple, que les versets
du Coran traitant de la position de la femme dans la société relèvent - comme
les versets traitant de l'esclavage d'une époque déterminée et ne sont plus
applicables à l'époque actuelle. (...)
Le
caractère sacré du Coran n'en sera aucunement altéré et ces pays n'auront
aucune raison de craindre la perte de leur identité islamique. Seuls seront
perdants les hommes qui veulent utiliser le sacré pour justifier certains
privilèges. Tout ce qui fait l'essence-même de l'islam restera universel.
L'islam sera toujours, même après la libération juridique de la femme, une
religion qui procure l'expérience spirituelle à des millions de croyants. »
Il expose les droits
de l’épouse selon les « auteurs arabo-musulmans contemporain :
« Son droit à être corrigée par son mari en cas de faute. »
Certains
auteurs considèrent que, dans le cadre des bons rapports entre époux, l'épouse
a droit à ce que son mari lui apprenne ses obligations religieuses et son
devoir envers lui et a droit également à la correction en cas de déviance.
Quant
à l'enseignement à la femme de son devoir à l'égard de son mari et à sa
correction par lui, les fuqahâ' ainsi que certains auteurs contemporains les
font entrer dans les droits de l'épouse, en partant du principe qu'il est de la
responsabilité du mari de guider sa femme vers le droit chemin. Et puisque
c'est dans l'intérêt de la femme, ceci constitue donc un de ses droits. »
Le Coran a donné
à l'homme le droit de corriger son épouse si celle-ci refuse de lui obéir. Ce
verset a suscité jadis d'interminables débats entre les fuqahâ'. »
L'un
des points du débat était la question de savoir si la correction doit être
graduelle ou non
Le débat
portait également sur la manière dont il faut user des trois moyens de
correction: la réprimande (maw'iza),
l'abandon du lit (hajr)
et le châtiment corporel (darb).
La
plupart des fuqahâ' se sont accordés pour dire que le châtiment corporel a la
correction pour seul but, qu'il doit être modéré (ghayr
mubrih), qu'il doit être
administré à plusieurs endroits du corps et qu'il doit épargner le visage et
le ventre. Les fuqahâ' ont défini le châtiment modéré comme étant celui
qui ne fracture pas un os, qui ne fait pas couler de sang, qui ne sectionne pas
un organe du corps et n'entraîne pas la mort.
D'autre
part, ils ont divergé sur les instruments à utiliser pour frapper. D'aucuns
ont exigé que ce soit avec une serviette roulée, avec un cure-dents, avec un
petit roseau ou avec la main, pourvu, précisent certains, que la main soit
ouverte, tandis que d'autres ont permis de frapper avec le bâton ou avec le
fouet.
Les
fuqahâ' ont discuté également des raisons autorisant la sanction physique.
Or
tous les fuqahâ' sont unanimes à dire que le type d'indocilité le plus
important autorisant à frapper sa femme est le refus de celle-ci de satisfaire
le désir sexuel de son mari.
Il
nous reste à dire qu'en dépit de leur accord sur la légèreté de la
correction corporelle, les fugahâ' ont divergé sur la responsabilité de
l'homme, lorsque la punition infligée entraime une infirmité ou la mort de la
femme.
Quant
aux auteurs musulmans contemporains, ils considèrent les trois phases de
correction comme une forme de «traitement thérapeutique » (mu'âlaja
tibbiyya); ainsi, le médecin (l'époux)
applique le médicament (correction) adéquat à la maladie (désobéissance)
qu'il faut guérir chez sa femme malade (indocile: nâshiza).
Néanmoins,
il y a plusieurs hadiths qui désapprouvent, d'une manière ou d'une autre,
cette pratique; en voici quelques-uns: « L'un d'entre vous battrait-il sa femme
comme une esclave, pour s'unir à elle à la fin du jour?' »; « Le meilleur
d'entre vous est celui qui se montre le meilleur avec sa femme" ». Il y a
de même un hadith qui interdit de frapper au visage, et un autre qui atteste
que le Prophète n'a jamais frappé une femme. Toutefois, ces hadiths sont
contredits par d'autres. Ainsi, on rapporte que le Prophète a permis de frapper
au visage. Dans un autre hadith attribué à sa femme Aisha, celle-ci rapporte
qu'elle fut frappée au thorax. L'on rapporte également: « Accroche ton fouet
là où ta femme peut le voir »; « L'homme qui frappe sa femme n'a pas de
compte à rendre' ».
Ce qui est intéressant
à signaler ici, c'est que l'on ne distingue pas chez ces auteurs des opposants
et des approbateurs de ce châtiment, mais que nous trouvons les deux attitudes
contradictoires dans les écrits de tous, sans que cela leur pose un problème
intellectuel.
Ci-après
quelques exemples de ces justifications:
Mahmud
Shaltut, recteur d'al-Azhar (1959):
« le châtiment
corporel est destiné à celles qui sont marginales et déviantes, insensibles
au raisonnement et à la rupture sexuelle. Dans ces cas, le châtiment corporel
devient naturel. C'est une nécessité que la nature de la société réclame".
»
Mohammed Qutb,
le frère de Sayyid Qutb, le théoricien des Frères musulmans en Égypte
(1960):
« Il faut rappeler d'une part que cette arme de réserve ne doit être employée que lorsque tous les autres moyens pacifiques de redressement auront échoué. Par ailleurs, il est des états de déviance psychologique que l'on ne peut guérir que par ce moyen. La psychologie enseigne que les autres procédés n'échouent que chez les individus qui, très souvent, sont atteints de déviance psycho-sexuelle appelée masochisme. Ils ne se calment et ne deviennent viables pour l'entourage social qu'après avoir subi un traitement sévère, matériel et moral à la fois. Ce genre de névrose [le masochisme] est plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. Si l'épouse relève de cette catégorie, le châtiment corporel devient pour elle un remède. Ce châtiment satisfait son désir. Une fois qu'elle l'a subi, son tempérament devient plus équilibré et tout rentre dans l'ordre!. »
Abbas Mahmud al-Aggad, l'un des écrivains arabes les plus célèbres (1969):
« II arrive à la femme de jouir de douleur car celle-ci est liée à l'une des fonctions qui lui tient le plus à cœur, à savoir la nature du sentiment de la maternité... il n'est pas étonnant qu'elle jouisse chaque fois qu'elle est châtiée de la part de son mari'. »
Ahmad Mohammed Jamal, professeur de culture islamique
à l'université du Roi Abdulaziz en Arabie Saoudite (1974): « L'expérience renouvelée confirme que certaines femmes
se trouvent rétablies après l'épreuve du châtiment corporel. Elles se
remettent et redeviennent normales et soumises. »
Madame
Kawthar Kamil Ali (1984):
«Le châtiment corporel exercé sur la femme n'est nullement une humiliation pour celle-ci - comme on le prétend -, mais il est plutôt un moyen de traitement utile, dans certains cas, pour certaines personnes déviantes et rebelles... Par ailleurs, la légitimation de frapper les femmes n'est pas une affaire que désapprouve la raison ou la nature humaine pour qu'il soit besoin de l'interpréter. C'est une chose dont on a besoin quand l'atmosphère sociale est polluée et les mœurs immorales ont prédominé... Le fait d'accorder ce droit à l'homme s'insère dans le domaine de l'organisation évoluée de la société et de la famille à la fois. »
Atiyya Saqr
(1989) membre du concile des recherches islamiques à Al Azhar :
« Le châtiment corporel est en général une des méthodes de correction pour les désobéissants. C'est un principe qu'établissent tous les gens sensés, même s'ils divergent sur sa quantité et sur la façon de son application. Il ne faut pas le méconnaître s'il s'est imposé comme moyen de redressement et de correction. Frapper la femme indocile est donc la dernière des phases de la correction. Seule la femme déviante le mérite, . quand la réprimande et le boycott sexuel ne donnent pas leur résultat. Aux grands maux les grands remèdes, comme on dit. Cette maladie de la femme est appelée par les psychologues du nom de masochisme'°°. »
Il est clair que l'autorisation donnée par le
Coran aux hommes de frapper leurs femmes met les auteurs musulmans
contemporains devant une situation critique. Toute fois, au lieu de résoudre ce
problème en plaçant cette autorisation dans son cadre historique, social et
culturel, comme on l'a fait pour ce qui est de l'esclavage et du concubinage
avec les femmes esclaves - autorisés également par le Coran - ces auteurs ne
cessent de déployer leurs efforts intellectuels à la recherche de l'aptitude
des femmes à être battues. C'est là un des maints exemples indiquant l'échec
des penseurs musulmans à faire adapter la pensée islamique aux exigences
sociales et culturelles de l'époque actuelle. »
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