L’AFFAIRE « SAINTE CAPOTE »

 

 

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

 

 

 

RM/JDCV DOSSIER N°04/00563 ARRET DU 12 JANVIER 2005 3ème CHAMBRE,

 

Prononcé publiquement par Monsieur LAMANT, Conseiller de la 3ème Chambre des Appels Correctionnels, le MERCREDI 12 JANVIER 2005

 

3 ème Chambre,

 

Sur appel d'un jugement du T.G.I. DE TOULOUSE - 3EME CHAMBRE du 29 AVRIL 2004  

 

….

 

 

PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR:

DIOIJF Pierre

Prévenu, appelant, libre, comparant

FRAIMBAUD Nathalie épouse VALLADE

Prévenue, appelante, libre, comparante

LE MINISTÈRE PUBLIC

appelant,

A.G.R.LF. (ALLIANCE GENERALE CONTRE LE RACISME ET POUR LE RESPECT DE L'IDENTITE FRANCAISE ET CHRETIENNE

7 boulevard St Germain - 75005 PARIS

Partie civile, non appelante, non comparante, représentée par Maître BONNEAU Pierre-Marie, avocat au barreau de TOULOUSE

RAPPEL DE LA PROCÉDURE:

LE JUGEMENT :

Le tribunal, par jugement en date du 29 Avril 2004, a déclaré coupables •

DIOUF Pierre et          FRAIMBAUD Nathalie épouse VALLADE du chef de :

INJURE PUBLIQUE ENVERS UN PARTICULIER EN RAISON DE SA RACE, DE SA RELIGION OU DE SON ORIGINE, PAR PAROLE, IMAGE, ECRIT OU MOYEN DE COMMUNICATION PAR VOIE ELECTRONIQUE, le 25/03/2003, à Territoire national, infraction prévue par les articles 33 AL. 3,AL.2, 23 AL. 1, 29 AL.2, 42 de la Loi DU 29/07/1881 et réprimée par l'article 33 AL.3,AL.4 de la Loi DU 29/07/1881

et, par application de ces articles :

a condamné, chacun d'eux à : DIOUF Pierre et FRAIMBAUD Nathalie épouse VALLADE ont eu la parole en dernier ;

Le Président a ensuite déclaré que l'arrêt serait prononcé le 15 décembre 2004, prorogé au 5 Janvier 2005 puis au 12 JANVIER 2005.

DÉCISION:

I - Sur la nature de l'arrêt :

Monsieur Pierre DIOUF et Madame Nathalie FRAIMBAUD épouse VALLADE, régulièrement cités, ont comparu à l'audience, assistés de leur conseil. Il sera donc statué par arrêt contradictoire à leur égard, l'arrêt devant leur être signifié pour faire courir les voies de recours en raison de leur absence aux audiences au cours desquelles la date du prononcé de la décision a été prorogée.

L'Alliance Générale contre le Racisme et pour le Respect de l'Identité française, et Chrétienne (A. G. R. 1. F.) partie civile, a été régulièrement citée et représentée aux audiences des 16 Novembre 2004, 15 décembre 2004 et 5 Janvier 2005. Il sera donc statué par arrêt contradictoire à son égard.

II - Sur la recevabilité des appels :

L'appel principal et général de Madame FRAIMBAUD épouse VALLADE du Lundi 10 Mai 2004, l'appel principal et général de Monsieur DIOUF du Lundi 10 Mai 2004 et l'appel incident du Ministère Public du 11 mai 2004 limité aux dispositions pénales du jugement du 29 Avril 2004, ont été interjetés dans les formes et délais légaux. Ils apparaissent donc recevables.

III - Sur l'action publique :

A - Faits et Procédure :

Le 25 Mars 2003 et les jours suivants des prospectus et un fascicule publicitaire ont été distribués au public dans les rues de Toulouse, annonçant la "NUIT DE LA SAINTE CAPOTE" organisée le Vendredi 28 mars 2003 par l'association AIDES de la Haute Garonne.

Sur ces documents était imprimé un "visuel "représentant le visage et le buste d'une religieuse portant un voile et une croix pectorale, ainsi que deux préservatifs et un angelot muni d'un arc et d'une flèche, avec les mentions " Sainte Capote protège nous... Le préservatif, féminin ou masculin, reste le seul moyen de protection efficace contre le SIDA".

Le 11 Avril 2003, l'A. G.R.I.F a déposé plainte avec constitution de partie civile auprès du Doyen des Juges d'Instruction du Tribunal de Grande Instance de

 

1000 euros d'amende avec sursis

SUR L'ACTION CIVILE:

* a rejeté la demande de la partie civile : A.G.R.LF. (ALLIANCE GENERALE CONTRE LE RACISME ET POUR LE RESPECT DE L'IDENTITE FRANCAISE ET CHRETIENNE, tendant à la publication de la décision,

et lui a alloué à 1 euro à titre de dommages intérêts ainsi que 900 euros au titre de l'article 475-1 du CPP

LES APPELS :

Appel du jugement a été interjeté par:

- Madame FRAIMBAUD Nathalie, le 10 Mai 2004, sur toutes les dispositions - Monsieur DIOUF Pierre, le 10 Mai 2004, sur toutes les dispositions

- M. le Procureur de la République, le 11 Mai 2004, sur les dispositions pénales

DÉROULEMENT DES DÉBATS:

A l'audience publique du 16 novembre 2004, le Président a constaté l'identité des prévenus.

Les appelants ont sommairement indiqué à la Cour les motifs de leur appel ;

Ont été entendus :

Monsieur MULLER, en son rapport;

DIOUF Pierre et FRAIMBAUD Nathalie épouse VALLADE en leur interrogatoire et moyens de défense ;

Maître BONNEAU Avocat de la partie civile, en ses conclusions oralement développées ;

Madame ESCLAPEZ, Substitut Général, en ses réquisitions ;

Maître MOREY ESPEIG substituant Me MOLLA, conseil de DIOUF Pierre et de FRAIMBAUD Nathalie épouse VALLADE, en ses conclusions oralement développées ;

TOULOUSE contre X... du chef d'injures raciales publiques envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion déterminée, fait prévu par les articles 29 alinéa 1 et 33 de la loi du 28 Juillet 1881.

A l'issue de l'information Pierre DIOUF, Président de. la Délégation Départementale de la Haute Garonne de l'Association AIDES depuis le 8 mars 2003 et Madame Nathalie FRAIMBAUD épouse VALLADE, responsable du comité de pilotage spécialement créé au sein de la Délégation Départementale pour l'organisation de l'opération "Sainte Capote" ont été renvoyés devant le Tribunal Correctionnel de Toulouse pour avoir chacun, sur le territoire national depuis le 25 mars 2003, étant directeur de publication (M. DIOUF comme président de la délégation départementale et Mme VALLADE-FRAIMBAUD comme coordinatrice départementale) par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, vendus, distribués, mis en vente, exposés dans un lieu ou réunions publiques, en l'espèce dans la ville de Toulouse, comportant une expression outrageante, un terme de mépris ou une invective , injurié l'AG.R.I.F. à raison de son appartenance à une religion déterminée, en l'espèce en présentant un personnage habillé en religieuse, portant le voile et une croix pectorale appelée "Sainte Capote", associé à la photographie de deux préservatifs, d'une sorte de petit personnage armé d'un arc et de flèches et de l'exortation "protège-nous", faits prévus par les articles 33 alinéa 2, 23 alinéa 1, 29 alinéa 2 et 42 de la Loi du 29 Juillet 1881 et réprimés par l'article 33 alinéa 2 de ladite Loi.

Par jugement du 29 Avril 2004, le Tribunal Correctionnel de Toulouse a :

- déclaré Pierre DIOUF coupable, en qualité d'éditeur des prospectus et du fascicule annonçant la nuit de la Sainte Capote, du délit d'injures raciales publiques envers un groupe de personnes, à raison de son appartenance à une religion déterminée ;

- déclaré Nathalie FRAIMBAUD épouse VALLADE, coupable en qualité d'auteur du visuel, comme complice de ce délit ;

- condamné chacun à la peine de 1000 euros d'amende avec sursis.

Madame VALLADE-FRAIMBAUD et Monsieur DIOUF concluent à l'infirmation du jugement et à leur relaxe en faisant valoir :

1°) que la prévention visait le délit d'injure à l'égard d'une personne morale dénommée A.G.R.I.F., commis par le directeur de la publication d'un prospectus, qu'ils ont été poursuivis tous deux en qualité de directeur de la publication alors qu'ils n'ont pas cette qualité, que leur responsabilité pénale ne saurait être retenue en cette qualité et qu'elle ne peut être envisagée sous aucune autre qualité sans violer les exigences de l'article 50 de la Loi du 29 Juillet 1881 ;

2°) que la qualité d'éditeur attribuée par le Tribunal à Monsieur DIOUF ne ressort d'aucun élément du dossier et que la qualité d'auteur attribuée à Mme

 

FRAIMBAUD est en contradiction avec la revendication faite par le seul auteur du visuel ;

3 °) que le visuel incriminé ne contient aucune expression outrageante, aucun terme de mépris, ni aucune invective visant ou faisant référence à la personne morale A. G. R.I. F. ou à ses membres, qui ne soutiennent pas appartenir à une religion déterminée ; qu'en conséquence aucune injure ne saurait résulter pour FA. G.R.I.F en raison de son appartenance à une religion déterminée, de ce prospectus ;

4°) que la communauté catholique, ni certains membres de la communauté catholique ne constituent pas un groupement ou un corps suffisamment déterminé pour caractériser le délit d'injures ;

5°) que tant l'élément matériel que l'élément intentionnel du délit d'injure fontt défaut.

La partie civile a estimé l'infraction constituée, en soulignant que selon elle le but recherché était exclusivement de salir et de blesser la communauté catholique.

Le Ministère Public a conclu à la confirmation intégrale des dispositions pénales du jugement.

B - Sur la culpabilité :

Les premiers juges, par une analyse détaillée des éléments qui leur étaient soumis, ont légalement justifié leur décision de déclarer les prévenus coupable et complice du délit d'injure publique envers un groupe de personnes, à raison de son appartenance à une religion déterminée par des motifs pertinents que la Cour s'approprie.

Ils ont en effet rappelé tout d'abord qu'en l'espèce la prévention doit être considérée comme fixée par les termes de la plainte avec constitution de partie civile, qui a mis l'action publique en mouvement, dès lors que celle-ci était conforme aux exigences de l'article 50 de la Loi du 29 Juillet 1881 et articulait et qualifiait les injures pour lesquelles l'action était intentée, en précisant leur nature raciale du fait de l'appartenance à une religion du groupe de personnes visée par les injures, qui était clairement indiqué dans les motifs de la plainte comme étant l'ensemble de la communauté catholique, étant observé que peu importe que l'acte de saisine de la juridiction de jugement après instruction ne reprenne pas intégralement l'articulation, la qualification et le visa des textes applicables, les prévenus ayant été en mesure de s'expliquer complètement sur les faits visés dans la plainte avec constitution de partie civile et sur leurs rôles.

Les premiers juges ont ensuite relevé que si l'utilisation de l'expression Sainte Capote n'était pas en elle-même critiquable, l'association de l' image dénaturée d'une religieuse, représentée les épaules nues, les lèvres maquillées et dont le regard n'évoquait ni la sainteté, ni la piété, ni la chasteté, à l'expression Sainte Capote et à un dessin de préservatifs ne traduisait pas l'alternative "chasteté ou préservatif", mais avait eu pour objet et pour effet de créer un amalgame provocateur et de mauvais gout et de susciter l'idée d'un certain anticléricalisme et que le visuel avait pu être ressenti par les catholiques ou du moins par certains d'entre eux comme une offense envers eux en raison de leur croyances et de leurs pratiques. Il suffira d'y ajouter d'une part, que l'injure peut prendre la forme d'un graphisme, d'autre part, que la communauté des catholiques unis par leur foi commune et leur croyance dans les dogmes et les règles de leur église, tels qu'exprimés notamment par le pape, constitue un groupe suffisamment déterminé pour être victime d'injures, enfin que c'est vainement que les prévenus invoquent une prétendue contradiction entre l'appréciation portée par le Tribunal sur le caractère injurieux de l'association et le ressenti des plaignants, ceux-ci se plaignant justement de ce que l'image de la religieuse, qui renvoie pour eux à la sainteté, ait été détournée.

 

Les premiers juges ont encore rappelé que l'interdiction faite aux juridictions de modifier la qualification des faits articulés dans la prévention ne s'applique pas au mode de participation du prévenu à ces faits, que le juge pénal est tenu d'apprécier en fonction du rôle effectif joué par celui-ci et qu'ils en ont déduit justement qu'ils étaient fondés à rechercher le rôle joué par les prévenus dans la confection et la diffusion du fascicule et du prospectus litigieux.

Après avoir relevé qu'ils ne constituaient pas des publications de presse, que par suite d'absence de désignation d'un directeur de publication était légiti­

me, ils ont rappelé qu'à défaut de directeur de publication, l'auteur principal du délit est l'éditeur, c'est-à-dire la personne chargée de la publication et de la diffusion des exemplaires d'une oeuvre de l'esprit qu'il avait mission de fabriquer ou de faire fabriquer et ont considéré justement que Monsieur DIOUF, Président du Conseil Départemental de la Haute Garonne à partir du 8 mars 2003 était l'éditeur des fascicules et du prospectus diffusés à partir du 25 mars 2003 et donc l'auteur principal du délit constitué par la diffusion et que Mr FRAIMBAUD qui avait confié à une agence de publicité la conception d'un "visuel" à partir du nom de l'opération et de son contenu, et qui non seulement en avait choisi un parmi plusieurs proposés, mais surtout y a fait apporter personnellement des modifications était l'auteur de ce visuel et donc complice au délit d'injure publique.

Il suffira d'ajouter pour répondre à certains arguments des prévenus d'une part, que Mme FRAIMBAUD doit être considéré comme co-auteur du visuel et que l'absence de poursuites des autres concepteurs est sans incidence sur sa propre culpabilité, d'autre part, que la plainte avec constitution de partie civile qui fixait la prévention avait été déposée contre X, sans que la qualité de directeur de publication ait été à aucun moment visée, enfin que l'opération "Sainte Capote" a été organisée sans l'intervention de la direction nationale de l'Association AIDES, qui en avait simplement été informée par le conseil départemental de la Haute - Garonne.

Les premiers juges ont enfin retenu que l'intention coupable était établie dans la mesure où les prévenus avaient nécessairement conscience que la diffusion de cette publicité offenserait la communauté catholique fidèle aux dogmes de l'église et aux règles édictées par son chef spirituel, le Pape Jean-Paul II, étant rappelé que la légitimité du but poursuivi par l'Association AIDES (prévention du SIDA et lutte contre sa propagation) ne peut justifier des comportements prohibés par la loi qui fixe la limite au delà de laquelle la provocation n'est plus licite.

C - Sur la peine :

La peine d'avertissement prononcée contre les prévenus par les premiers juges apparaît parfaitement adaptée à la personnalité des prévenus qui n'ont jamais été condamnés et qui agissaient dans le cadre d'une association dont l'objet essentiel n'est pas, contrairement aux affirmations de la partie civile, de blesser ou de nuire à autrui, mais d'apporter un concours à la prévention du SIDA notamment par la fourniture d'informations.

IV - Sur l'action civile :

Les premiers juges ont déclaré recevable la constitution de partie civile de l'A. G. R. 1. F et ont condamné solidairement les prévenus à payer à l'A. G. R. 1. F la somme de 1 euro à titre de dommages et intérêts et celle de 800 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, en rejetant la demande de publication du jugement.

Les prévenus, appelants principaux, n'ont formulé aucune critique particulière contre ces dispositions, même à titre subsidiaire.

Le Ministère Public s'en est rapporté à justice sur ce point.

L'A. G.R.I.F. a sollicité la confirmation des dispositions civiles du jugement déféré à la Cour et l'allocation d'une indemnité complémentaire de 3000 euros par application de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale, à la charge solidaire des prévenus.

Le jugement, qui n'est pas critiqué, sera confirmé en ses dispositions relatives à l'action civile de l'A.G.R.I.F. pour les motifs pertinents énoncés par les premiers juges, que la Cour s'approprie.

Par ailleurs il y a lieu d'allouer à la partie civile une indemnité complémentaire de 400 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale. .

 

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire à signifier, et en dernier ressort,

Déclare les appels recevables en la forme ;

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne solidairement Monsieur DIOUF et Madame VALLADE-FRAIMBAUD à payer à l'A. G.R.I.F. une somme de 400 euros par application de l'article 475-1 du Code de Procédure Pénale.

Le Président n'a pu donner aux condamnés l'avertissement prévu par l'article 132-29 du Code Pénal en raison de leur absence à l'audience de lecture de l'arrêt.

RAPPELLE que la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 EUROS dont est redevable chaque condamné ;

Le tout en vertu des textes susvisés ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par Monsieur LAMANT, Conseiller qui en a donné lecture, pour le Président empêché et le Greffier.